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Repos biologique : une mesure en trompe l’œil ?

La période de repos biologique censée permettre aux espèces halieutiques de se reproduire ne serait en réalité qu’une mesure en trompe l’œil, car certains acteurs du secteur de la pêche ne s’y plieraient pas. D’ailleurs la pêche artisanale ne serait pas concernée par cette décision interdisant la pêche du 1er juillet au 31 août.

C’est dans le cadre de l’application du Plan d’Aménagement et de Gestion des Pêcheries pour l’année 2019 que le ministère de la Pêche, de l’aquaculture et de l’économie maritime, a pris un arrêté pour ordonner la fermeture des activités de pêche industrielle et artisanale avancée, dans toute  la zone maritime étant sous juridiction de la République de Guinée.

Cette restriction ne concerne pas la pêche artisanale. D’où la possibilité pour certains petits malins de s’engouffrer dans cette brèche pour continuer à écumer nos eaux en quête de produits halieutiques.

Le ministre de la Pêche, Frédéric Loua, a précisé dans cet arrêté que cette mesure de fermeture momentanée qui coïncide à la reproduction des principales espèces de poissons, vise à favoriser la reconstruction des ressources halieutiques.

Le département de la Pêche a profité de l’occasion pour annoncer que pendant cette période, la surveillance sera renforcée avec la synergie de toutes les structures de contrôle et de surveillance de l’État par la mutualisation de leurs moyens et équipements.

Aboubacar Kaba, président du Réseau des ONG et Organisations Professionnelles de la Pêche Artisanale en Guinée (ROOPPAG), a, au cours d’un entretien  accordé à notre reporter, dénoncé une mauvaise gestion de la pêche guinéenne par le département en charge de ce secteur.

« Le ministre de la pêche est pris en otage »

À l’entame de notre entretien, le président du ROOPPAG a rappelé que la pêche artisanale se porte un peu mal, parce que, selon lui, il y a un lobby qui a créé ce qu’on appelle pêche artisanale avancée, dit-il, qui ne figure nulle part dans le code de la pêche. « Récemment, peut-être vous avez entendu les échos par rapport à ce qui s’est passé au ministère de la Pêche, un truc purement de manipulation à travers ces Asiatiques. Le repos biologique a commencé depuis 6 ans, ça a bien marché toutes les années. Bien-sûr avec certains dérapages, des flagrants délits », a-t-il déploré.

À en croire Aboubacar Kaba, ‘’ce lobby pousserait des femmes, face aux pressions des Asiatiques avec lesquels elles ont pris de l’argent, pour faire des pancartes pour dire « à bas le repos biologique pour la pêche artisanale avancée ». Ce terme pêche artisanale avancée c’est quoi ? À l’époque, par rapport à l’équipement des engins, on appelait ça pêche semi-industrielle. Parce que la seule différence c’était le volume. Mais, du point de vue équipements, ils sont équipés de la même manière que les chalutiers qui payent chères leurs licences, mais eux, ils n’ont aucun problème. Ils ne sont pas loin de la côte. Les espaces dont eux ils ont besoin se trouve dans la zone de la pêche artisanale. Avec les échos sondeurs et le GPS, ils raclent, et c’est une perte totale pour la communauté », a-t-il tancé.

Dans la même lancée, Aboubacar Kaba dit être certain que le ministre de la Pêche est pris en otage.

« Il y a eu deux changements de ministres en l’espace d’un court laps de temps. Mais celui qui est là actuellement (Frédéric Loua, ndlr) est pris en otage. J’en ai la preuve. Le lobby lui a fait avaler l’hameçon, donc on le tire là où ils veulent », a-t-il fustigé.

Ces Chinois qui pillent nos eaux !

Le président du ROOPPAG rappelle que le repos biologique permet à toutes les espèces qui sont dans nos eaux maritimes de se régénérer. « Allez-y au port, quand on débarque, c’est des fretins. C’est dû à la multiplication de l’effort de pêche dans nos eaux en l’espace de 5 ans. Quand l’effort de pêche est multiplié à 20-25, ce n’est pas bon. Les Chinois, qu’est-ce qu’ils font au vu et au su de certaines autorités ? Des filets réglementés en surface, mais au fond des petits mailles », a-t-il dénoncé.

Par ailleurs, pour éviter qu’il y ait manque de poissons dans nos marchés pendant cette période de repos biologique, Aboubacar Kaba estime que l’État a l’obligation d’interdire toute exportation. « Que ce soit nos femmes qui mettent en valeur ajoutée qui envoient aux États-Unis. Tout ce qui est péché doit être reversé sur le marché local. Il n’y aura pas de problème », assure-il.

Mais tout de même, il précise que la pêche artisanale n’est pas concernée par ce repos biologique.

« Il y a une vingtaine de barques de pêche qui sont en mer, et qui reviendront avec un minimum de 3 tonnes de poissons », a souligné le président du ROOPPAG.

Anarchie et  pénuries de poissons en Guinée

La pêche artisanale est le seul secteur qui fonctionne en cette période de repos biologique. Idrissa Kallo, chargé des affaires sociales, communication et information de la fédération guinéenne de la pêche artisanale, pense que si on devait parler de repos biologique, c’était d’interdire les activités de la pêche en général.

Par ailleurs, Idrissa Kallo, précise qu’il y a 7434 embarcations de pêche artisanale sur le littoral, selon le recensement de 2016. Mais toutes ces embarcations ne seraient pas en fonction en même temps, précise-il.

« Quand vous prenez les 5000 embarcations de pêche artisanale, si l’État mettait les moyens d’accompagnement à la disposition de ces acteurs, je sais bien que la pêche artisanale seule pouvait fournir du poisson aux 12 millions de Guinéens, pendant et après le repos biologique », a-t-il indiqué.

Tout en déplorant l’anarchie qui caractérise de plus en plus  le secteur de la pêche.  « Aujourd’hui, tout le monde s’est lancé dans  la pêche. Les femmes commerçantes de Madina exportent les poissons guinéens vers les États-Unis. Mais, est-ce que ça c’est réglementé ? Vous avez vu des Asiatiques qui ont plus de 52 installations, qui font l’exportation vers l’Asie. Donc, on ne fait que donner à manger aux autres à travers nos produits halieutiques. Si tout ceci était mangé chez nous, est-ce que ça n’allait pas nous suffire ?, s’est-il interrogé.

Les pêcheurs utilisent des filets prohibés

Les pêcheurs artisanaux ont des problèmes, pour obtenir des intrants de pêche. Selon Idrissa Kallo, c’est une seule personne qui envoie des moteurs de bonne qualité en Guinée. « C’est le moteur Yamaha, qui est envoyé par un certain Alpha Oumar. Il y a aussi Tuatshu, envoyé par la société Djoliba pêche », a-t-il révélé.

La fédération guinéenne de la pêche artisanale a aidé les pêcheurs à avoir 162 moteurs, à travers le Crédit Rural. « Nous avons signé un partenariat avec le Crédit Rural, et on a mis un fonds de garantie au niveau de cette caisse », se félicite Idrissa Kallo, parce que la pêche artisanale n’est pas subventionnée par l’État guinéen.

Plus loin, Idrissa Kallo déplore le fait que les filets qu’on utilise ici, c’est des mono filaments, qui sont des filets prohibés. « 95% des filets utilisés sont de ce type. Le code de la pêche maritime interdit ça. Mais, il n’y a pas de contrôle. La commercialisation de ces filets n’est pas interdite », a-t-il fustigé.

Par Mamadou Alpha Baldé (In Emergence Mag – N°05 de Juillet 2019)