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Pourquoi la dette américaine n’inquiète (presque) personne

Pendant qu’en France le débat fait rage sur la gestion des finances publiques, les États-Unis sont endettés à hauteur de 125 % du PIB. Un « privilège exorbitant » qui doit faire des jaloux à Bercy.

Le chiffre est tellement colossal qu’il en devient difficile à visualiser. Plus de 34 000 milliards de dollars, soit près de 32 000 milliards d’euros. C’est le montant astronomique de la dette publique américaine en 2023. À côté, les 3 000 milliards d’euros de dette française paraissent presque ridicules, même si la France est le troisième pays le plus endetté de la zone euro…

En pourcentage du PIB, la dette américaine atteint 125 %, contre 111 % pour la France. Le déficit, quant à lui, s’élevait à 6,3 % du produit intérieur brut en septembre 2023, alors que les 5,5 % atteints en France l’année dernière ont quasiment déclenché une crise politique .

Mais à quoi cette manne a-t-elle servi ? « Il faut se rappeler que, post-Covid, les Américains ont investi énormément d’argent avec des politiques budgétaires accommodantes. Ils ont injecté trois fois plus d’argent que nous », retrace Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste au cabinet d’audit BDO. Avec le mal nommé Inflation Reduction Act (IRA) , les États-Unis ont subventionné massivement leurs entreprises d’avenir et incité à la consommation de produits américains. L’Amérique a aussi lancé le plan Chips and Science Act pour le secteur stratégique des semi-conducteurs, et le Jobs Act pour améliorer la compétitivité du pays et créer des milliers d’emplois. « Et ça marche ! Cela a attiré beaucoup d’investissements et d’entreprises. Le coût de l’énergie, plus bas que chez nous, a aussi aidé », explique l’économiste. En 2023, la croissance américaine s’est ainsi élevée à 2,5 %, contre 0,5 % en moyenne dans la zone euro et 0,9 % en France.

Une note dégradée par Fitch

« Mais, en contrepartie, les finances publiques ont explosé », observe Anne-Sophie Alsif. En France, la situation des finances publiques alimente des débats houleux. La Cour des comptes a récemment étrillé la trajectoire de réduction du déficit présentée par le gouvernement, jugeant qu’elle « manque de crédibilité » et de « cohérence ». Aux États-Unis aussi, certains essaient d’alerter sur l’envolée de l’endettement.

Sur le long terme, les États-Unis se trouvent sur un chemin budgétaire insoutenable », a déclaré début février Jerome Powell, le président de la Banque centrale américaine (Fed). L’agence de notation Fitch a dégradé en août dernier la note des États-Unis, les privant de leur célèbre triple AAA (la meilleure note possible). L’agence américaine leur a attribué un AA + en raison notamment de la « détérioration budgétaire attendue au cours des trois prochaines années » ainsi qu’une « charge de la dette publique élevée et croissante ». « Chaque dollar consacré au paiement des intérêts signifie moins de ressources disponibles pour bâtir un avenir plus fort et plus résilient », dénonce une fondation américaine financée par l’ancien secrétaire d’État au Commerce républicain Peter G. Peterson.

« Ils peuvent s’endetter comme ils veulent »

Mais ces mises en garde sont vite balayées par le gouvernement américain. Les États-Unis disposent toujours du « privilège exorbitant » du dollar, déjà dénoncé en 1964 par Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre de l’Économie. « Tant que le dollar aura cette prédominance, ils peuvent s’endetter comme ils veulent », résume Anne-Sophie Alsif. « Tout le monde a envie d’investir en dollars, les États-Unis restent la plus grande puissance mondiale, donc, si le pôle de référence s’effondre, cela veut dire qu’on a d’autres problèmes », abonde l’économiste spécialiste des questions financières Philippe Trainar.

Le pays de l’oncle Sam a aussi l’avantage de disposer de sa propre banque centrale et peut donc choisir de dévaluer sa monnaie si la charge de la dette devient trop lourde. Dans dix ans, la charge d’intérêt de la dette pourrait doubler, estime la fondation de Peter G. Peterson. La France, qui s’endette en euros et ne contrôle pas la Banque centrale européenne (BCE) , est logiquement plus contrainte.

« Si les États-Unis devenaient trop endettés à l’égard du reste du monde à un moment, cela pourrait poser problème, mais on en est clairement encore loin », conclut Philippe Trainar. Une politique de désendettement ou d’austérité n’est pas au programme. Joe Biden est davantage concentré sur l’échéance électorale : les électeurs américains éliront leur futur président le 5 novembre prochain.

Lepoint