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Dubréka : le blues des riverains des carrières de granite

L’extraction du granite dopée par le boom de l’immobilier enregistré dans la capitale guinéenne, attire du monde, dans la préfecture de Dubréka, où exploitants et intermédiaires de démènent pour tirer profit de cette activité lucrative. Toutefois, les communautés riveraines de ces carrières subissent les méfaits de l’usage des explosifs, et la forte pollution qui en résulte. Enquête sur un secteur économique au cœur de scandales écologiques et financiers.

Malgré la place prépondérante qui sied à l’extraction du granite dans le développement socio-économique de la Guinée, les populations des sites abritant ces carrières, n’y verraient que du bleu. Ces communautés riveraines fustigent en effet l’utilisation par les sociétés d’extraction, de la dynamite et bien d’autres produits chimiques prohibés. Mettant en danger la vie des habitants.

A Yorokoguia, Gbèrèyiré, Khonikhourou, Yéguiyah et Terset, localités situées dans la préfecture de Dubréka, le constat est saisissant. Les populations de ces localités qui abritent une dizaine de sociétés d’extraction de granite à elles-seules vivent un désastre.

Alsény Bangoura, un habitant de Terset explique que les détonations d’explosifs dans les carrières provoquent des fissures sur les habitations. Il craint que les maisons ne s’écroulent sur eux à cause des éboulements de terre causés par le dynamitage.  Sa voisine Fatoumata Sidibé, fait-elle,  un constat plutôt surprenant. « Depuis que les sociétés ont lancé ces carrières, les manguiers qui sont à Terset ne donnent plus de bons fruits». Terset abrite les sociétés comme AMG et Ali Daher.

Mais en plus des nuisances sonores, les communautés riveraines dénoncent avec véhémence une pollution générée par les activités d’extraction de granite qui les expose à des risques de maladies pulmonaires.

Quid du contenu local ?

Les riverains des carrières ALAME et AMG se posent également des questions sur l’importance directe de ces sociétés sur leur vie. « Nous ne bénéficions de rien ici. Nos villages n’ont bénéficié à ce jour d’aucune infrastructure socio-éducative. Elles sont incapables de nous offrir une école ou un centre de santé »,  déplore toujours à Terset, Bangaly Sylla.

Pour Mômô Soumah, ancien chef de cette localité, les sociétés se bougent depuis que la pression des villageois s’accentue. « Les carrières n’ont réalisé que deux forages depuis 2008.  Ce n’est qu’avec les récents mouvements sociaux qu’elles ont pu construire un collège de six classes ».

Pour exprimer leur ras-le-bol, les jeunes usent très souvent de la force pour se faire entendre. Le dernier cas en date remonte à janvier 2019. Une manifestation des jeunes de Yorokoguia et de Terset pour protester contre un dommage causé par un projectile de granite sur une maison a débouché sur des actes de vandalisme. Le siège du quartier de Terset a été pillé. Les opérations dans les carrières ont été interrompues pendant des heures.

Au titre des clauses entre les parties, les sociétés payent en nature les taxes dues aux communautés.  Le quartier de Mômô Soumah, ainsi que tous les autres secteurs riverains obtiennent au titre de cette convention dite sociale, deux chargements de granites par mois. Ils sont offerts pour les éventuels dommages causés par les activités de dynamitage.

Cascades de scandales financiers

L’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE-Guinée chiffrent à 145 127 m³ la production annuelle totale de granite en 2016.  Soit une valeur en francs guinéens estimée à 37,7 milliards GNF.

Selon le même rapport, la contribution du secteur des granites au budget national en 2016,  était de 49,4 milliards GNF, soit 1,7% du budget de l’Etat.

Pour ce qui est du cas spécifique de sa communauté, la localité de Terset perçoit cinq chargements de granite par mois, en raison de 2 300 000 GNF le chargement. Ce qui correspond à une taxe globale mensuelle de 11 500 000 GNF, soit 138 000 000 l’an.

Les taxes collectées par les autorités locales de Terset sur les trois dernières années de 2016 à 2018), s’élèvent à 414 000 000 GNF. Mais dans  les registres de ce quartier, seul 2 93 818 515 GNF sont répertoriés au compte des revenus miniers utilisés en faveur des habitants de Terset, au bout des trois dernières années. Environ 120 millions de francs guinéens manquent à l’appel. Sa destination reste un mystère.  

A Terset tout comme de Gbèrèyiré et à Yorokoguia, la gestion des revenus générés par les carrières suscite des interrogations au sein des populations. Certains citoyens connaissent déjà les coupables. Ils  accusent les autorités de leurs quartiers de détourner  les fonds issus de la vente des chargements de granites.

Un habitant de Terset qui a requis l’anonymat croit savoir que Mômô Soumah est responsable en partie de cette gestion économique calamiteuse. « L’argent détourné par le chef de quartier dans cette affaire est colossal. Il dépasse 50 millions GNF », accuse-t-il.

Révélation que balaie du revers de la main le mis  en cause. «Quand on dit aujourd’hui que le chef de quartier a détourné, il a détourné quoi ? Le détournement n’est pas dans ma tête », rejette-t-il en bloc, avant d’aligner ses preuves.  « Nous avons construit le siège du quartier,  lancé les travaux de construction de la maison des jeunes. Nous avons construit une école de six classes. Ce qui nous a coûté 110 millions de francs guinéens ».

L’ex dirigeant de quartier cite parmi ses réalisations, la réhabilitation du centre de santé et l’installation d’une ligne électrique de moyenne tension sur 2km à ses propres frais. Des explications qui sont loin de rassurer les citoyens.

La gestion des carrières et les revenus générés par l’activité se déroulent dans l’opacité la plus absolue.

Nos efforts pour entrer en contact avec la direction préfectorale des mines et carrières de la préfecture de Dubréka se sont avérés infructueux.

Par Raoul Thierry Soumahoro (In Emergence Mag – N°05 de Juillet 2019)