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[TRIBUNE] Guinée : la subvention sur les produits pétroliers entre 2019 et 2020 était-elle réelle ? (Par Sally oussouby CISSOKO)

En 2018 le président de la République de guinée a décidé de créer un ministère des hydrocarbures afin de mieux gérer l’épineux problème du carburant. C’est ainsi que sur proposition du premier ministre, un ministre fut nommé à la tête de ce département pour conduire à bien la nouvelle mission qui lui serait assigné dans sa lettre de mission.

Dans l’exécution de la lettre de mission N° 0045 /CAB.P/SP-PM/18 du 10/07/2018 du gouvernement au ministre des Hydrocarbures, le ministre des Hydrocarbures avait animé une conférence de presse le 17 janvier 2020, à Conakry. Au cours de cette rencontre, il avait abordé la question relative à la subvention du carburant par le gouvernement guinéen.

« Le gouvernement guinéen avait décidé de supprimer la subvention du carburant en faisant passer les prix de l’essence, du pétrole et du gas-oil de 8 000 à 10 000 francs guinéens le litre ».

Cette politique qui consistait pour l’Etat à supporter un coût sur le prix du carburant afin de soulager les populations avait contraint l’Etat guinéen à renoncer à ses taxes pour environ 2 000 milliards de francs guinéens, soit 500 millions de dollars de 2011 à 2014.

Qu’en était-il réellement ? Pour le temps qu’elle a existé, cette subvention a servi à qui ?

Quel a été l’impact sur les recettes de l’état ? et enfin quel a été l’impact sur les ménages ?

Cette étude sera structurée autour de deux parties essentielles, il s’agira tout d’abord d’analyser la subvention pour en cerner les contours (I) et enfin de déterminer les impacts de sa suppression sur les différents acteurs (II).

  • LA SUBSTANCE DE LADITE SUBVENTION :

Les subventions correspondent aux aides financières apportées par l’état et les institutions publiques afin d’aider les entreprises et les producteurs de secteurs en difficulté ou stratégiques qui auraient besoin d’un soutien afin de se développer ou pour contrer des concurrents étrangers. Elles servent également à épauler les entreprises porteuses de projets. (Andlil trader Inside)

S’agissant de la guinée, le mécanisme était simple. Quand le prix du pétrole baissait sur le marché international, le gouvernement laissait inchangé le prix à la pompe. Ainsi, l’État actionnaire dans l’entreprise importatrice de pétrole, la Société Guinéenne des Pétroles (SGP), captait une partie de cette marge bénéficiaire.

En revanche, lorsque le prix à l’international augmentait l’état supportait la différence en renonçant à une partie des recettes issues de la fiscalisation des produits pétroliers. C’est de cela qu’il etait question, de dépense fiscale[1].

Pour mieux comprendre, il est important de s’intéresser tout d’abord à la structure des prix, les produits pétroliers étant soumis à un régime de prix administré.

  • LA STRUCTURE DES PRIX

Le ministère des hydrocarbures étant créé en 2018, ce sera le point de départ de notre étude. En, 2018, le prix CAF (Coût Assurance Fret) de l’essence tournait autour de 5198,6 GNF et le prix du détail était de 8.000 GNF. Les intermédiaires qui étaient entre autres Total, Vivo Energy, …. Encaissaient au total 6,1% du prix du détail. Ensuite le réseau du transport du carburant encaissait 5,5%. Les gérants des différentes stations de service percevaient 3,5%.  Enfin la taxe de la Société Guinéenne de Pétrole (SGP) communément appelée taxe d’entreposage tournait autour de 0,64 % du prix du détail.

Donc, Les intervenants avaient 15,8% du prix, prix du produit à la rentrée 64,98%, cela faisait un total de 80,8% du prix total et l’état encaissait les 19,11% du prix par litre à travers les taxes. (Source : ARRETE conjoint A/2013/035/MC/MEF/SGG   DU 18 JANVIER 2013, RELATIF AUX MODALITES DE DETERMINATION DES PRIX DES PRODUITS PETROLIERS MIS A JOUR).

2018

MOYENNE PRIX BARIL A 74 US $  DEPENSE FISCALE / LITRE
  TARIF NORMAL TARIF AVEC SUBVENTION    
  ESSENCE GASOIL    
prix CAF (Coût Assurance Fret)   5 198,60    5 345,00   5 199,00 PRIX CAF  
    5 198,60   5 345,00 5 199,00  
MARGES DISTRIBUTEURS              495,00              495,00              495,00 MARGES  
PEREQUATION TRANSPORT              440,00              440,00              440,00  
STATION DETAILLANT              285,00              285,00              285,00  
 1 220,00   1 220,00  1220,00  
TAXE D’ENTREPOSAGE                 51,90                 51,90                 51,90 SGP  
                51,90               51,90               51,90  
TSPP + RER              750,00              500,00              500,00  ETAT Écart sur la TSPP+RER             250
DD                  0,72                  0,72                  0,72  
RTL                  0,97                  0,97                  0,97  
RTC                  2,66                  2,66                  2,66  
PRELEVEMENT COMMUNAUTAIRE                25,99                25,99                25,99  
CENTIME ADDITIONEL                 13,00                 13,00                 13,00  
TVA EN DOUANE  2 949,09   988,07  1 250,88   Écart sur la TVA                       1 961
    3 742,43  1 531,41  1794,22  
TOTAL  10 212,93  8 148,31   8 265,12 Dépense fiscale par litre :   2 211
PRIX DE VENTE   8 000,00 8000
TOTAL DEPENSE FISCALE DE 2018      700 000 000 000

Source : construction de l’auteur à partir de la structure des prix          

L’état avait renoncé effectivement à environ 700 milliards de francs guinéen en 2018 au titre des recettes fiscales sur les produits pétroliers. Toutes fois, avec la baisse du prix du baril sur le plan international, le gouvernement avait maintenu le prix du carburant à la pompe inchangé en plus d’avoir taxé les produits pétroliers sans dépense fiscale, l’état avait réalisé un gain supplémentaire de 120.845.113.283 GNF en 2019 et 412 547 649 730 GNF en 2020. (Annexes 1et 2 ; Tableau 2 et 3 : structures des prix)

Nous pourrons affirmer que la suppression de subvention avait été effective déjà en 2019 donc une année avant. Ainsi, les dépenses fiscales concernant les produits pétroliers étaient inexistantes dans son aspect, aides aux ménages, à la population vulnérable.

Qu’en était-il des autres consommateurs ? Seul l’analyse du régime d’imposition nous permettra de déterminer ceux qui ont le plus bénéficier de cette subvention.

  • LES REGIMES EN VIGUEUR DANS L’IMPOSITION DES PRODUITS PETROLIERS

A l’époque, Il existait 7 régimes en guinée :

Le régime Marché Terrestre TTC : Concerne les consommateurs de droits communs assujettis au régime fiscal plein pot et se subdivise en deux grandes catégories :

Les stations-services pour les clients acheteurs à la pompe et les gros consommateurs disposant de leurs aires de stockage (les industries, les BTP, les hôtels, les brasseries, les téléphonies …).

Le régime soutage local : Dédié à la pêche artisanale et exonéré de la TSPP (taxe spécifique fixée au litre).

Le régime Minier : Concerne les enlèvements des sociétés minières bénéficiant des clauses de stabilité et d’allégements fiscaux conventionnels (droits de porte imposés au taux de 8,8% au lieu de 23,95 % du taux d’imposition en régime terrestre toute taxe comprise et exonération de la taxe spéciale sur les produits pétroliers).

Le régime EDG : Dédié à Électricité de Guinée qui bénéficie d’une exonération fiscale sur les TSPP.

Le régime SEG : Dédié à la Société des Eaux se Guinée qui bénéficie d’une exonération sur les droits de portes et sur la taxe sur les produits pétroliers à l’exception du fonds d’entretien routier.

Le régime soutage international : Concerne les navires en transit battant pavillon étranger.

Le régime Ambassades : Conformément à la convention de Vienne de 1961 (article 34), bénéficient de l’exonération fiscale sur la TVA) et la TSPP.

Il faut noter que cette disposition est assortie de la clause de réciprocité entre les pays. (Source : annexe au code général des impôts)

Il ne s’agissait donc pas d’une réduction spéciale de prix pour les consommateurs précités au détriment du bas peuple. Ce régime avait servi et continuait de servir les gros consommateurs comme les miniers, les industries, les travaux publics donc apriori contre-productive.

  • ANALYSE DES IMPACTS SUR LES ACTEURS CONCERNES

Cette subvention qui était en réalité une dépense fiscale, ne correspondait donc pas à un décaissement effectif des caisses de l’état et sa suppression a eu des effets sur différents acteurs :

  • UNE AUGMENTATION CONSIDEARBLE DES RECETTES DE L’ETAT 

Nous étions passés d’une dépense fiscale de près de 700 milliards GNF en 2018 à environ 412 milliards GNF de surplus de recettes en 2020. Très concrètement à partir de 2019 l’imposition a été celui du droit commun, donc tous les impôts ont été correctement recouvré et il y’avait eu un surplus. L’axe vertical représente le point d’équilibre donc le droit commun, tout ce qui se retrouve au-dessus de l’axe représente un surplus.

  • UNE DIMINUTION DU POUVOIR D’ACHAT DES MENAGES

La suppression de la subvention avait entrainé l’augmentation du prix du transport, et de certains biens et services.  Plassard (2003) cite « cette soif de mobilité, ce besoin d’aller toujours vers un ailleurs sans doute meilleur, que l’on retrouve dans toutes les sociétés, a poussé les hommes à imaginer sans cesse de nouveaux moyens de transport qui leur permettent d’aller plus vite et donc plus loin ». En effet, la mobilité constitue un élément indispensable du développement économique.

  • L’ELASTICITE DE LA DEMANDE DE DEPLACEMENT PAR RAPPORT AU PRIX

Afin de mieux évaluer l’impact sur les ménages nous avons étudié le comportement d’un échantillon de ménage. Donc, notre approche était micro économique. Nous avons choisi des échantillons à partir de nos enquêtes et observations personnelles.

L’échantillon 1 : les commerçants. L’échantillon 2 : des travailleurs du secteur formel, L’échantillon 3 : les élèves et étudiants, L’échantillon 4 : sans emplois

COMMERCANTS SECTEUR FORMEL ELEVES ET ETUDIANTS SANS EMPLOIS
ANNEE 2018 2019 2020 2018 2019 2020 2018 2019 2020 2018 2019 2020
PRIX 1300 1500 1500 1300 1500 1500 1300 1500 1500 1300 1500 1500
NOMBRE DE DEPLACEMENT/ MOIS 60 50 50 60 50 50 60 50 50 24 24 24
ELASTICITE 0,033 0,033   0,033 0,033   0,0327 0,033   0,015 0,015  

Source : construction de l’auteur

L’élasticité était de 0,33 pour les trois premiers échantillons et de 0,015 pour le quatrième échantillon nous pouvons donc affirmer que l’augmentation du prix du transport n’aurait pas empêchée les individus de se déplacer parce qu’ils iront toujours travailler, étudier et ils n’ont pas le choix.

Cependant, cela a affecté considérablement leur revenu qui est déjà très faible.

  • UN IMPACT CONSIDERABLE SUR LE REVENU DES MENAGES :

La guinée est un pays ou le SMIC était de 450.000 GNF et ou le revenu moyen était de 690.000 GNF soit 69 dollars (annexe 3). Malgré l’augmentation du prix du carburant à la pompe qui avait eu pour conséquence la hausse des prix du transport et autres biens, les revenus étaient majoritairement restés les mêmes.

PRIX DU CARBURANT A 9000 GNF DE 2018 à 2020 IMPACTES DU COUT DU TRANSPORT DANS LES DIFFERNTS REVENUS
SALAIRE COUT DU TRANSPORT/ MOIS PART DANS LE REVENU / MOIS
 TAXI  MINIBUS ET BUS  VEHICULE PRIVE  TAXI  MINI BUS ET BUS  VEHICULE PRIVE
  450 000  375 000  125 000    1 800 000 83% 28% 400%
          600 000     375 000    125 000  1 800 000 63% 21% 300%
          750 000     375 000                         125 000     1 800 000 50% 17% 240%
          900 000     375 000                         125 000    1 800 000 42% 14% 200%
        1 200 000     375 000                         125 000   1 800 000 31% 10% 150%
2 000 000     375 000                         125 000   1 800 000 19% 6% 90%
3 000 000     375 000                         125 000   1 800 000 13% 4% 60%
4 000 000     375 000                         125 000   1 800 000 9% 3% 45%
 4500 000     375 000                         125 000    1 800 000 8% 3% 40%
 5000 000     375 000                         125 000   1 800 000 8% 3% 36%
 10 000 000     375 000                         125 000    1 800 000 4% 1% 18%

Source : Construction de l’auteur à partir des données de l’institut national de statistique de guinée et de. https://mondoblog.org/

  • LES LIMITES ET RECOMMANDATIONS

La suppression de la subvention du carburant était sans doute la bonne mesure à prendre, même si elle avait considérablement affaibli le pouvoir d’achat des ménages. Il est tout de même nécessaire de maintenir les prix du transport administrés considérant que l’essentiel du transport est effectué par le secteur privé parce que les transports publics sont insuffisants. Une volatilité des prix peut conduire à un mouvement social et des tensions politiques. Un protectionnisme par le contrôle des prix est donc indispensable (Mendez del Villar et al. 2015). Le gouvernement doit penser à mettre en place des mécanismes pour redonner du pouvoir d’achat à la population vulnérable considérant qu’il n’existe pas d’assistance sociale en guinée.

Ensuite, il doit aller au bout de la dynamique enclenchée et revoir les régimes fiscaux, notamment le régime minier qui accorde un allègement sur le prix du gasoil. Même si l’on comprend le but d’encourager les investissements, les sociétés minières disposent des moyens financiers pour se ravitailler en gasoil aux prix du marché. Revoir également tous les autres régimes de fiscalisation du secteur pétrolier notamment celui de l’électricité de guinée et de la société des eaux de guinée qui doivent en principe pouvoir se gérer efficacement.

Et enfin, le gouvernement doit penser à la création d’une caisse de stabilisation des prix des hydrocarbures et de péréquation dont l’objectif sera de protéger l’économie guinéenne des importantes fluctuations des prix des hydrocarbures et d’en atténuer l’impact sur le pouvoir d’achat des ménages.

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Sally oussouby CISSOKO

Master 2 en économie de développement parcours Finances Publiques de l’école d’économie d’auvergne, de l’université de Clermont-Ferrand, France.

Centre d’étude et de recherche pour le développement international (CERDI/FERDI).

Master 2 en Administration Publique, parcours Administration générale et territoriale de l’université de Bretagne Occidentale, France.

Master 2 en droit fiscal université Paris-Dauphine, France

Maitrise en sciences comptables, Université de Sonfonia Conakry-Guinée.

Fondateur et vice-président de l’ONG HÉRITAGE