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Simandou : Rio Tinto, à marche forcée, dans une dynamique irréversible

L’évocation du nom de Rio Tinto dans le projet d’exploitation du minerai du fer de Simandou suscite chez les populations une certaine méfiance. Le mastodonte anglo-saxon rappelle constamment à l’esprit des Guinéens le gel de leur gisement de fer depuis plus de deux décennies, 26 ans exactement. Le Simandou est le plus important et le plus riche gisement de minerai de fer inexploité du monde.

Pour rappel, depuis 1997, Rio Tinto est présente en Guinée. Elle a acquis sa première convention minière en 2002, ce qui était en réalité un permis d’exploration sur le fondement du code minier de 1995. A cause des manquements constatés dans l’exécution de ladite convention, l’Etat Guinéen à travers un décret, va lui retirer 50% de la superficie du permis pour les réduire au bloc 3et 4. Et plus tard, en 2011,  la société sera soumise au payement d’une pénalité de 700millions dollars pour non-respect des dispositions du code minier en vigueur d’alors et de la convention minière qui la liait à l’État  relative à la cession de 47% des actions de Simfer Jersey à un consortium chinois dirigé par Chinalco.  Ces différends successifs avec l’État ont été utilisés par Rio Tinto pour ne pas développer le projet.

C’est pourquoi, les Guinéens ont été pris de panique  quand le PCA de Rio Tinto, lors du diner qu’il a offert tout récemment à la presse, s’est délesté des propos pour le moins polémiques. Il a   affirmé, sans ambiguïté, que le projet d’infrastructures portuaires   est couteux, et qu’il serait à cet effet  impossible à  de le réaliser. Et pourtant,  les différentes conventions signées par les parties engagées dans le projet prévoient la construction d’un port en eau profonde.

A propos de Rio Tinto, notamment, la convention de base et la convention BOT pour la réalisation d’un chemin de fer de 657KM et d’un port en eau profonde à Moribaya, dans la préfecture de Forécariah, ont été amendées et signées en mai 2014 avec l’Etat Guinéen. Avec à la clé, un investissement de 20milliards dollars.

Pour revenir à cette sortie pour le moins surprenante du PCA de Rio Tinto, on apprend que le sujet n’est plus d’actualité. Les parties sont convenues de réaliser le projet en deux phases.

 La première phase consistant en l’exploitation de 120 millions de tonnes de minerai de fer qui seront exportés à partir du port de Moribaya par l’utilisation des barges et plates formes de transbordement. Les TSV (bateaux)  seront mis à contribution pour le transbordement en haute mer dans des  navires de grandes capacités appelés  Cape Size.

La seconde phase avec une exportation de 160 millions de tonnes dont 100 millions de tonnes pour Simfer se fera à partir d’un port en eau profonde.

« Dans la convention minière de Simfer, la société  doit exporter 50 millions de tonnes  dans la première phase  puis  100 million de tonnes s dans la seconde phase. Avec le nouveau projet, elle démarrera avec 60 millions de tonnes par an et WCS 60 millions de tonnes par an. Ce qui fera une production combinée de 120 millions de tonnes. Ensuite, Rio Tinto fera une extension pour la seconde phase pour passer sa production de 60 à 100 millions de tonnes par an. Ce qui nécessitera la construction d’un port en eau profonde » nous précise une source au sein de l’équipe de négociation.

On apprend que les études de faisabilité du port en eau profonde seront engagées dès l’entrée en vigueur de la convention signée le 10 août 2023.

Il faut noter que le phasage du projet facilite son financement par les banques. A défaut  ,  ce sera un investissement additionnel de 4 à 5 milliards pour la réalisation d’une jetée  d’environ 18 à 20 km. Ce qui va rendre le projet peu bancal, moins attractif des potentiels bailleurs de fonds et ainsi  retarder encore davantage la mise en exploitation du projet.

A préciser , que  dans la région de Boké, la plupart des sociétés y compris GAC, Chalco, SPIC, COBAD et SMB utilisent  des barges pour charger les navires de grandes capacités en haute mer. Le Port de Dapilon utilisé par la  SMB est même devenu un des principaux ports d’importation des biens et équipement à partir de la Chine. Pourtant, c’est un port situé sur le Rio Nunez qui est un cours d’eau. Selon differents documents exploités par le magazine ,  il  n’y a aucun port en Afrique de l’Ouest qui a un tirant d’eau (profondeur) de moins 20 mètres. Nos fouilles nous informent que le  port le plus profond est celui de Lomé qui fait environ moins 15 mètres et Celui de Conakry est à moins 13 mètres.

Ce qui veut dire que la construction par phase permettra de créer des revenus pour le projet et faciliter le financement des prochaines phases. La minimisation des coûts (Capex et Opex) est un impératif pour tous les investisseurs dans le but  d’améliorer la rentabilité

« Une obstination à vouloir réaliser, vaille que vaille, cette infrastructure, pendant que c’est impossible de trouver un bailleur de fonds qui va s’engager à la financer, peut inéluctablement retarder d’avantage l’exécution du méga projet, quand on sait qu’on est déjà très en retard sur le calendrier initial nous a expliqué un spécialiste du secteur infrastructures » nous confient plusieurs spécialistes .

On peut donc comprendre à cet effet, que plus rien ne peut faire obstacle à la réalisation de ce mégaprojet qui va, à coup sûr, doubler, voire tripler aussi bien le budget du pays ainsi que son PIB.

Des fiscalistes estiment à plus d’un milliard de dollars par an les recettes fiscales quand le projet sera dans sa phase de pleine capacite de 120 millions de tonnes par an.

La société Rio Tinto qui a fait mine de jouer au dilatoire en trainant les pieds dans le but de geler le projet, est désormais dans une marche irréversible. Cela est dû, non seulement à l’intransigeance des nouvelles autorités, mais aussi, à la présence d’un autre partenaire, en l’occurrence WCS,  dont l’engagement pour  la réalisation du projet est visible à travers ses œuvres de  construction de plusieurs infrastructures  le long du corridor et ainsi qu’au port. C’est pour la société l’expression d’une volonté de satisfaire aux exigences des nouvelles autorités pour la réalisation dans les délais prévus dans les accords  du Simandou et ainsi transformer en réalité le rêve de tout Guinéen.

Mognouma Cissé

(Article paru dans Emergence Mag N°22 / Septembre 2023)