Pour sortir de ses difficultés de trésorerie, l’État sénégalais ne pourra pas faire l’économie de profondes réformes structurelles.
Après avoir dénoncé les excès dépensiers de l’administration – 307 milliards de francs CFA pour l’achat de véhicules –, le président de la République du Sénégal Macky Sall a pris des mesures pour alléger le train de vie de l’État.
Aussi a-t-il pris la décision de plafonner, désormais selon un montant forfaitaire mensuel, les dépenses liées à l’usage des téléphones portables estimées à 16 à 17 milliards par an. Le gouvernement prévoit également de s’attaquer aux dépenses liées à l’utilisation de l’eau, au carburant, à l’électricité, au téléphone fixe et à l’Internet. Comment en est-on arrivé à une telle situation ? Les mesures mises en place auront-elles l’impact qu’il faut ou sont-elles de simples effets d’annonce ?
Une trésorerie assez serrée
Les difficultés économiques que vit le Sénégal actuellement relèvent d’une conjonction de facteurs, qui ont fini de plonger la trésorerie de l’État dans d’énormes difficultés. Le manque de liquidités, qui est devenu chronique, a mis en difficulté les entreprises au niveau national. La dette publique comprend, en effet, les titres publics émis en monnaie locale et détenus par des résidents ou compagnies sénégalaises, dont 250 milliards de CFA dus à cinq entreprises majeures du secteur des bâtiments et des travaux publics que l’État n’a pas pu honorer. Cette situation pouvait pourtant être évitée.
En effet, à partir de 2013, la situation économique mondiale s’était apaisée du fait d’une baisse historique du coût du baril du pétrole, qui a baissé les années suivantes au niveau de 30 dollars.
Ce contexte a profité au régime sénégalais qui n’a pas baissé pour autant le prix à la pompe pour les citoyens sénégalais et s’est engagé dans des politiques qui ont malheureusement échoué pour la plupart.
L’État a par exemple retiré la subvention de plus de 50 milliards de CFA allouée à la Société nationale d’électricité.
Avec ses profits, le gouvernement s’est engagé dans des politiques sociales comme les bourses familiales, la couverture maladie universelle, le programme d’urgence de développement communautaire etc. Or, ces politiques qui avaient pour objectif de soulager les populations vulnérables ont produit de très faibles résultats.
En effet, les statistiques produites sur la pauvreté en 2015 par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie ont montré une augmentation des ménages qui s’estiment pauvres à 56,6 % de la population.
Une nette hausse par rapport à l’enquête de suivi de la pauvreté réalisée en 2011 et publiée en 2013 qui évaluait l’incidence de la pauvreté subjective à 48,6 % et celle de la pauvreté monétaire à 46,7 % – cette pauvreté est calculée sur la base d’un revenu inférieur à un seuil, basé sur un panier de produits alimentaires. La preuve que les politiques entreprises par le pouvoir n’ont pas amélioré le quotidien des Sénégalais.
La reconstitution de la dette
Avec un taux d’endettement qui représentait 39,7 % du PIB au début de la seconde alternance, le gouvernement du Sénégal s’est engagé dans un rythme d’endettement exponentiel qui atteint aujourd’hui 51,5 % en dépit des alertes des spécialistes et experts. Avec le Club de Paris et tous les soutiens internationaux, le régime se lance dans des projets qui ne sont pas prioritaires pour les concitoyens, mais qui ont un caractère purement politique.
C’est le cas de l’autorité Illa Touba, du train express régional (TER), des bourses de sécurité familiale, etc.
Si l’on prend le seul exemple de la ville sainte de Touba, elle a plus besoin de structures d’assainissement et de centres de santé comme l’hôpital qui était programmé, mais n’a jamais été réalisé.
De même, les bourses familiales de 25 000 francs CFA par trimestre pour 300 000 familles ont aidé certains foyers sur le court terme, mais ne contribuent pas à baisser le niveau de pauvreté sur le long terme. Car, selon un document de recherche de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la bourse familiale « n’a pas permis aux ménages boursiers de s’engager dans de nouvelles activités économiques et a eu un effet d’entraînement très limité sur les capacités productives ou la réinsertion socio-économique des ménages pauvres ».
En réalité, les préoccupations des citoyens tournent autour de l’emploi ou de la nourriture toujours importée et donc, très chère.
L’éducation fait également face à d’énormes défis. Et d’autres urgences, comme l’eau qui devient rare au cœur de certains quartiers de la capitale ou les questions de santé avec des plateaux techniques médiocres, restent sans réponse de la part du gouvernement. C’est dans cette ambiance de doutes et de difficultés que les citoyens s’interrogent sur la portée du taux de croissance qui a atteint les 7 %.
Cette croissance extravertie semble se développer au seul bénéfice des multinationales et n’a que peu d’impact sur les 65 % de citoyens ruraux dont les revenus sont partagés entre l’agriculture, la pêche et l’élevage.
À la place d’une politique de développement portée sur ces secteurs, l’État investit dans des infrastructures comme les stades, les péages et le train express régional à coups de milliards. Ces choix semblent avant tout destinés à donner une image moderne du Sénégal alors que la population fait face au quotidien à des défis bien plus pressants.
Résultat : aucun investissement social salutaire comme des hôpitaux ou des universités, mais un niveau d’endettement de près de 49,6 % en dépit de la modification de la base de calcul qui a augmenté le PIB de 29,4 %.
Les 7 261,76 milliards de francs CFA de dettes accumulées pour un pays dont les recettes sont uniquement fiscales ont de facto entraîné un ajustement économique, qui ne dit pas son nom, imposé par la Banque mondiale.
Des choix dictés par le FMI
En réalité, le Fonds monétaire international a été à l’origine de toutes ces décisions récentes visant à réduire les dépenses de l’administration.
Il a notamment exigé que le gouvernement du Sénégal supprime toutes formes de subventions comme celles accordées aux étudiants du privé pour contenir les dépenses publiques. Mais cette mesure, qui consiste à orienter les 57 000 bacheliers dans les universités publiques, va déstabiliser les efforts entrepris entre public et privé ces dernières années.
De même, le FMI a demandé d’accroître les recettes fiscales par l’augmentation des prix de certains produits de consommation de masse comme le carburant et le ciment. Mais cela s’est fait au détriment des populations appauvries.
Enfin, le FMI a imposé une baisse des coûts de fonctionnement des services publics à travers de mesures visant le téléphone et le carburant. Mais, pour de nombreux économistes, les vraies charges du pays proviennent d’institutions budgétivores inutiles et conçues uniquement pour une clientèle politique.
Certes, la diminution annoncée des agences fait partie de ces mesures du FMI. Toutefois, il faut regretter que la question du nombre de ministres et que le problème des caisses noires politiques ne soient pas visés par ces baisses de dépenses.
L’absence d’une véritable politique de développement, tournée vers l’autosuffisance, et le manque d’industrialisation sont les véritables causes d’un appauvrissement des masses qui peinent à assurer le quotidien. Le manque de réinvestissement des bénéfices de la croissance réalisés par les grandes sociétés étrangères ne permet pas de créer des emplois à partir d’un développement des activités des entreprises.
Ce caractère extraverti du tissu économique sénégalais à l’image des économies africaines confirme l’idée d’une croissance appauvrissante, car n’ayant pas d’impact sur le vécu des citoyens.
Le chômage est devenu un fléau social et national par manque de politique de développement articulé autour du secteur primaire. Le coût de la vie plombe tous les espoirs et risque de plonger le pays dans une misère généralisée.
À l’entame d’un deuxième mandat, aucun programme de développement pouvant redonner un brin d’espoir n’est en vue. C’est le statu quo dans un silence d’ajustement qui risque de coûter cinq ans de difficultés. La situation du Trésor public, qui frise la banqueroute, doit être corrigée, comme ce fut le cas en Grèce ou en Argentine.
Cependant, pour le moment aucune mesure concrète et potentiellement efficace de réduction du train de vie de l’État n’est à l’ordre du jour. Nous sommes plutôt face à des réformettes. Dès lors, les véritables solutions risquent d’attendre encore longtemps. Les Sénégalais devront prendre encore leur mal en patience.
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