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Réforme de la fonction publique guinéenne : entre économies et contraintes (Billet de la semaine)

La gestion des ressources humaines dans le secteur public guinéen est régie par la loi portant statut général des fonctionnaires, qui établit les droits et obligations des agents.

Les lois de finances de 2021 à 2024 ont également déterminé les budgets alloués à la fonction publique, influençant directement les dépenses de personnel. Cependant, les départs massifs de fonctionnaires admis à la retraite et l’assainissement du fichier de la fonction publique à travers le projet FUGAS (fichier unique de gestion des effectifs et des soldes) ont-ils réellement permis de réduire la facture salariale de la fonction publique guinéenne ? En apparence, les chiffres semblent le confirmer, mais une analyse plus approfondie révèle une réalité plus nuancée.

En effet, d’un côté, les effectifs civils payés par la fonction publique ont connu une baisse significative, passant de 112 791 en avril 2021 à 92 123 en mai 2024, soit une diminution de 7,1% en rythme annuel. Cette tendance à la baisse s’explique par les opérations d’assainissement du fichier de la fonction publique menées par les autorités.

Mais d’un autre côté, l’État a signé un accord avec le mouvement syndical guinéen en 2024, portant sur une augmentation de 35% de la valeur monétaire du point d’indice. De plus, l’organisation de concours pour la fonction publique, notamment un concours particulier pour les enseignants contractuels, a entraîné des coûts supplémentaires cette même année.

En croisant les données sur les effectifs, les rémunérations et les dépenses de personnel, cette étude met en évidence les mécanismes complexes qui ont façonné l’évolution des finances publiques guinéennes ces dernières années. Bien que les départs à la retraite et l’assainissement du fichier aient permis de réduire les effectifs, les augmentations salariales et les nouvelles embauches ont contrebalancé ces économies, rendant l’impact global plus nuancé qu’il n’y paraît.

Évolution des effectifs de la fonction publique

2021 : Légère hausse des effectifs

En avril 2021, les effectifs civils payés par la fonction publique étaient de 112 791, marquant une légère augmentation de 0,4% en glissement annuel. Cette hausse a été accompagnée d’une augmentation de la masse salariale de 16,9%, en lien avec la poursuite des paiements des primes en faveur du personnel soignant et des enseignants.

2022 : Baisse des effectifs

Au mois de décembre 2022, les effectifs civils ont chuté à 102 218, représentant une baisse de 6,0% en glissement annuel. Cette diminution est attribuée à l’opération d’assainissement du fichier de la fonction publique par les nouvelles autorités. En revanche, la masse salariale a légèrement augmenté, atteignant 286,4 milliards GNF, soit une hausse de 0,4% par rapport à l’année précédente.

2023 : Poursuite de la baisse

En août 2023, les effectifs civils ont continué de reculer, atteignant 98 438,  ce qui représente une baisse de 5,1% en glissement annuel, après une diminution de 9,2% au même mois de 2022. La masse salariale a également connu une baisse significative, se chiffrant à 284 milliards GNF,  soit une diminution de 33,8% par rapport à l’année précédente.

2024 : Baisse continue des effectifs

Au mois de mai 2024, les effectifs civils se sont établis à 92 123, marquant une baisse de 7,1% en rythme annuel, après une diminution de 4,5% l’année précédente. Cette tendance est le résultat des opérations d’assainissement du fichier de la fonction publique. En revanche, la masse salariale a augmenté pour atteindre 340,62 milliards GNF, soit une hausse de 19,6%, due à l’augmentation des salaires des fonctionnaires à la suite d’un accord signé entre l’État et les syndicats.

Impact financier des dépenses de personnel

Dépenses de personnel

Les dépenses de personnel dans la fonction publique entre 2021 et 2024 montrent des tendances significatives :

2021 : Les dépenses de personnel ont été estimées à 7 449,94 milliards GNF dans la loi de finances révisée.

2022 : Les dépenses de personnel ont été payées à hauteur de 6 738,77 milliards GNF sur une prévision annuelle de 7 125,72 milliards GNF,  soit un taux d’exécution de 94,57%. Cette somme se décompose en traitements et salaires en espèces pour 6 225,65 milliards GNF et en traitements et salaires en nature pour 513,12 milliards GNF.

2023 : Les dépenses ont été de 5 727,88 milliards GNF sur une prévision de 7 831,50 milliards GNF,  soit un taux d’exécution de 73,14%. Les traitements et salaires en espèces s’élevaient à 5 137,40 milliards GNF, et ceux en nature à 590,48 milliards GNF. Entre 2022 et 2023, les paiements des dépenses de personnel ont reculé de 15%.

2024: Les dépenses de personnel sont révisées à 9 439,81 milliards GNF, contre 9 270,53 milliards GNF en loi de finances initiale, soit une augmentation de 169,28 milliards GNF. Cette hausse s’explique principalement par la prise en charge des rémunérations des nouvelles recrues dans l’armée, la revalorisation des primes et indemnités des enseignants-chercheurs, ainsi que la reprise du paiement des agents dont les salaires étaient suspendus.

Recommandations : 

1- Renforcer la planification des effectifs :

– Mettre en place un système de prévision des besoins en personnel à moyen et long terme, basé sur des données fiables et actualisées.

– Aligner les recrutements sur les besoins réels des administrations.

– Évaluer régulièrement les postes et les compétences requises.

2- Améliorer la gestion de la carrière :

– Définir des parcours professionnels clairs et attractifs pour encourager la mobilité interne.

– Mettre en place des systèmes d’évaluation des performances plus rigoureux.

– Favoriser la formation continue des agents.

3- Rationaliser les dépenses de personnel :

– Réexaminer régulièrement les grilles salariales et les indemnités pour garantir une équité interne et une cohérence avec la situation économique du pays.

– Mettre en place des mécanismes de contrôle des dépenses de personnel à tous les niveaux de l’administration.

– Envisager des mesures d’incitation à la retraite anticipée pour certains profils.

4- Moderniser les outils de gestion des ressources humaines :

– Déployer un système d’information RH unifié pour améliorer la gestion des données et des processus.

– Utiliser les technologies de l’information et de la communication pour faciliter les échanges et la collaboration entre les différents acteurs.

5- Renforcer la participation sociale :

– Impliquer les syndicats et les représentants du personnel dans la définition et la mise en œuvre des politiques de gestion des ressources humaines.

– Organiser des consultations régulières avec les agents pour recueillir leurs attentes et leurs suggestions.

Les réformes entreprises dans la fonction publique guinéenne ces dernières années ont indéniablement eu un impact sur la masse salariale. Si les départs à la retraite et l’assainissement du fichier ont contribué à réduire les effectifs, l’augmentation des rémunérations suite aux accords avec les syndicats et les nouvelles recrues ont contrebalancé ces effets. Ainsi, la facture salariale, loin de diminuer de manière continue, a connu des fluctuations importantes, reflétant les tensions entre les objectifs de rationalisation et les impératifs sociaux. Il apparaît donc que la réduction de la masse salariale n’est pas un processus linéaire, mais plutôt le résultat d’un équilibre délicat entre différentes forces en présence.

La gestion des ressources humaines dans la fonction publique guinéenne reste un défi majeur. Les résultats de cette étude montrent que les politiques mises en œuvre ont des conséquences complexes et parfois inattendues sur les finances publiques. À l’avenir, il sera essentiel de trouver un équilibre durable entre la maîtrise des dépenses de personnel et la nécessité de maintenir un service public de qualité. Une meilleure planification des effectifs, une évaluation régulière des besoins en compétences et une politique de rémunération plus équitable et transparente pourraient contribuer à améliorer l’efficacité de la gestion des ressources humaines dans le secteur public. De plus, il est crucial de renforcer les capacités de l’État en matière de gestion des données pour disposer d’informations fiables et à jour sur l’évolution de la masse salariale et de ses déterminants.

Mohamed Camara 

Cabinet MOCAN pour Emergencegn.net