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Pourquoi le commerce mondial ralentit ? ( Chronique de Patrick Artus)

La montée du protectionnisme et, en conséquence, du nombre d’obstacles au commerce de biens est néfaste pour l’économie. 

Le commerce mondial de biens ralentit fortement depuis 2012-2013. Avant cette date, lorsque le produit intérieur brut (PIB) – en volume – du monde progressait de 1 %, le commerce mondial de biens – équivalent en volume – progressait de 2 %. À partir de 2013 et jusqu’en 2018, le commerce mondial de biens progresse à peine plus vite que le PIB mondial .

Depuis le milieu de l’année 2018, lorsque le PIB mondial progresse de 1 %, le commerce mondial ne progresse, en moyenne, que de 0,6 %. Enfin, depuis le deuxième semestre 2022, le commerce mondial de biens en volume ne progresse plus. Le commerce mondial de services, en revanche, continue de progresser à peu près au même rythme que le PIB mondial, mais il est 3,6 fois plus petit que le commerce mondial de biens.

Le ralentissement très important du commerce mondial de biens par rapport au PIB mondial s’explique essentiellement par la multiplication des obstacles aux échanges commerciaux. Le Fonds monétaire international recense les mesures qui constituent des obstacles aux échanges – droits de douane, quotas, restrictions à l’importation ou aux exportations… – jusqu’en 2012. En 2017, il y a 500 obstacles aux échanges (mondialement) ; en 2019, il y en a près de 1 000 ; en 2022, il y en a 2 600.

La multiplication des obstacles aux échanges, particulièrement après l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, est l’explication essentielle du ralentissement du commerce mondial. Les exportations de la Chine vers les États-Unis sont la partie la plus affectée. Ces exportations, avec les droits de douane et les restrictions au commerce de produits technologiques, ont reculé sur un an de 25 %. Elles ne représentent plus, en 2023 que 13,4 % des importations totales des États-Unis, alors que c’était 20 % en 2018.

Hausse de l’inflation
On peut aussi avancer, comme explication de ce ralentissement, le vieillissement de la population. La population âgée de plus de 65 ans représentait, en 2022, 7 % de la population mondiale ; en 2023, c’est 10,1 %. Les personnes âgées consomment moins de biens et davantage de services. La consommation par les ménages de produits manufacturés représentait 74 % de la consommation de services pour l’ensemble des pays de l’OCDE en 2022. Elle n’en représente plus que 67 % en 2023. On peut donc penser que les échanges mondiaux de biens vont continuer à progresser nettement moins vite que le PIB mondial.

Quelles sont les conséquences de cette évolution ? Il y en a essentiellement trois. D’abord, la stratégie traditionnelle des pays mercantilistes devient inefficace. Ces pays ont une stratégie de croissance basée sur celle des exportations , ce qui implique le maintien d’une compétitivité-coût forte en termes de qualité des produits et d’une demande intérieure assez faible pour réserver les capacités de production à l’exportation.

La deuxième conséquence est la hausse de l’inflation. Elle est due aux droits de douane, au fait que les relocalisations de production dans les pays de l’OCDE conduisent à une forte hausse des coûts de production – autour de 50 % – par rapport à leur niveau dans les pays émergents et à l’inefficacité des pays de l’OCDE par rapport aux pays émergents, en particulier à la Chine, pour réaliser des productions de grande échelle.

La troisième conséquence est que la concurrence entre les pays va se recentrer sur les échanges de services. Le risque pour les pays de l’OCDE est qu’aux délocalisations industrielles se substitue celle de la production de services – informatiques, de recherche, comptables. Déjà, l’Inde a un poids de services informatiques dans son économie de 9 %, alors qu’il n’est que de 6 % aux États-Unis ou en Europe.

Patrick Artus est conseiller économique chez Natixis

Source: lepoint.fr