Dans un contexte de réorganisation majeure du secteur minier guinéen, comme l’illustre le récent décret du 15 mai 2025 signé par le Président de la République le Général d’armée Mamadi DOUMBOUYA retirant de nombreuses concessions minières, il est crucial de comprendre les mécanismes légaux qui encadrent le retrait des permis miniers. Cette mesure, qui a touché des acteurs majeurs de l’exploitation de la bauxite, du diamant, du graphite et de l’or, s’inscrit dans une volonté gouvernementale de reprise en main d’un secteur stratégique pour l’économie nationale.
En République de Guinée, le retrait d’un titre minier constitue une sanction administrative sévère, strictement encadrée par le Code minier, notamment son Article 88. Cette procédure, qui peut être initiée pour diverses raisons allant de la suspension injustifiée des activités au non-respect des obligations environnementales, suit un processus rigoureux incluant une mise en demeure préalable et offrant des possibilités de recours aux sociétés concernées. L’analyse détaillée qui suit expose les conditions précises dans lesquelles l’État peut procéder au retrait des permis miniers, une connaissance essentielle pour tous les acteurs du secteur.
Les principaux motifs pouvant entraîner le retrait d’un Titre minier ou d’une Autorisation incluent :
- Suspension ou Restriction d’Activité non Justifiée et Préjudiciable :
◦ Le Titre minier ou l’Autorisation peut être retiré si l’activité de recherche ou d’exploitation est suspendue ou gravement restreinte.
◦ Cette suspension ou restriction doit durer plus de six (6) mois pour les permis de recherche3, et plus de douze (12) mois pour les Titres d’exploitation minière ou les Concessions3.
◦ Elle doit intervenir sans motif légitime. Un cas de force majeure dûment justifié peut excuser une suspension, mais un acte ou événement qui aurait pu être prévu et évité par une diligence raisonnable, ou qui rend seulement l’exécution plus difficile ou onéreuse, ne constitue pas un cas de force majeure au sens du Code. Si la suspension due à la force majeure excède un mois, les parties doivent se rencontrer pour examiner les incidences.
◦De plus, cette suspension ou restriction doit être effectuée de façon préjudiciable à l’intérêt général.
- Défaut de Mise en Exploitation après Découverte :
◦ Si l’étude de faisabilité réalisée dans le périmètre d’un Permis de recherche démontre l’existence d’un Gisement économiquement et commercialement exploitable, le titulaire a le droit d’obtenir un Permis d’exploitation ou une Concession minière pour ce gisement, à condition d’avoir respecté ses obligations et présenté un dossier conforme….
◦ Cependant, si cette étude de faisabilité n’est pas suivie d’une mise en exploitation du gisement dans les délais et selon les modalités prévues par le Code, cela peut entraîner le retrait du permis de recherche.
◦ Les délais pour démarrer les travaux d’exploitation ou atteindre la phase d’exploitation sont spécifiés :
▪ Pour un Permis d’exploitation semi-industrielle, les travaux de développement et de mise en exploitation doivent commencer dans un délai maximal de six (6) mois à compter de l’octroi. Si la mise en exploitation n’est pas réalisée deux (2) ans après l’octroi, l’État se réserve le droit de retirer ou d’annuler le Titre. Des pénalités de retard s’appliquent après un an….
▪ Pour un Permis d’exploitation industrielle, la phase d’exploitation (définie à l’article 168 comme commençant à la Date de la première production commerciale) doit être atteinte dans la durée prévue par l’étude de faisabilité, avec une limite maximale de quatre (4) ans pour le minerai brut destiné à l’exportation et cinq (5) ans pour la transformation locale, à compter de l’octroi. Des pénalités de retard s’appliquent au-delà de ce délai, sauf exception.
▪Pour une Concession minière, les travaux de développement doivent commencer dans un délai maximum d’un an à compter de l’octroi. Des pénalités de retard s’appliquent au-delà.
- Violations de Dispositions Spécifiques du Code Minier : Le Code minier liste explicitement diverses violations de ses dispositions qui peuvent entraîner des sanctions, y compris le retrait du Titre2. Ces violations comprennent, sans s’y limiter :
◦ Insuffisance des Travaux ou des Dépenses : Si les travaux miniers ou les montants de dépenses réalisés par le titulaire sont inférieurs de 25% ou plus par rapport au programme minimum de travaux ou au montant minimum de dépenses prévus par le Titre ou son cahier des charges, sur un total de deux années consécutives…. Cette disposition fait explicitement référence à l’application de l’Article 88…, l’article qui régit le retrait. Une exception est prévue en cas de force majeure dûment justifié, n’excédant pas douze (12) mois…. Le programme minimum de travaux et l’effort financier minimum sont fixés par l’arrêté institutif du permis de recherche.
◦Non-respect des Obligations de Cession ou de Transfert : Un Permis de recherche ne peut pas être cédé ou transmis partiellement ou totalement, sous peine de nullité des actes contraires et du permis lui-même. Tout changement de contrôle direct ou indirect (acquisition de 5% ou plus du capital) d’un titulaire de Titre minier doit être approuvé ou validé par le Ministre en charge des Mines…. L’absence de cette autorisation requise pour la cession totale, le transfert ou l’amodiation (location du droit d’exploiter) de l’ensemble des droits miniers est un motif de retrait.
◦Défaut de Paiement des Taxes et Redevances : Le non-respect des obligations fiscales peut entraîner des sanctions. Tout retard de plus de trente (30) jours calendaires dans le paiement de la taxe sur les Substances minières ou de la taxe sur la production industrielle ou semi-industrielle des Métaux précieux peut entraîner des sanctions pouvant aller jusqu’au retrait du Titre minier. Le paiement des taxes applicables, comme la retenue à la source sur la plus-value lors d’une cession…, est également une obligation.
◦Non-respect des Règles de Bonne Conduite et Anti-Corruption : Le non-respect des dispositions du Code minier relatives aux conflits d’intérêts et au Code de bonne conduite (décrit à l’Article 155, non fourni) est une cause explicite de retrait mentionnée dans l’Article 88. De plus, la violation des dispositions interdisant le paiement de pots-de-vin par le titulaire, ses employés, représentants ou sous-traitants, peut entraîner des sanctions allant jusqu’au retrait du Titre minier concerné. Les titulaires ont l’obligation de mettre en place des stratégies pour prévenir la corruption et d’en rendre compte….
◦Activités Menées en Dehors du Périmètre ou sur des Substances non Autorisées : Les droits conférés par un titre sont limités au périmètre défini et aux substances désignées…. Mener des activités d’exploration ou d’exploitation en dehors de ce périmètre ou sur des substances pour lesquelles le titre n’a pas été délivré est une violation.
◦Activités d’Exploitation avec un Permis de Recherche : Un Permis de recherche confère le droit exclusif de Recherche (Prospection/Exploration), tandis que l’Exploitation ou l’Extraction nécessite un Permis d’exploitation ou une Concession. Mener des activités d’exploitation avec un Permis de recherche est une violation.
◦Défaut de Tenue ou de Présentation des Registres : L’exploitation minière implique des obligations de documentation et de transparence. Le défaut de tenue régulière des registres d’extraction, de vente et d’expédition, ou le refus de les présenter aux agents qualifiés, est un motif de retrait. De manière générale, les titulaires doivent conserver leurs documents comptables et justificatifs en Guinée et les rendre accessibles pour vérification, et fournir des rapports et informations financières périodiquement….
◦Perte des Garanties Financières ou des Capacités Techniques : Les titulaires doivent posséder les capacités techniques et financières suffisantes pour l’exécution des opérations. La disparition de ces garanties ou la perte de ces capacités qui étaient un critère d’attribution peut remettre en cause la poursuite des activités dans les conditions requises et constituer un motif de retrait.
◦Défaut de Démarrage des Travaux dans les Délais : Outre l’obligation de mise en exploitation (point 2 ci-dessus), il existe des délais spécifiques pour le début des travaux après l’octroi du titre. Les sources mentionnent les délais pour le démarrage des travaux de développement pour les concessions (1 an13) et semi-industrielles (6 mois). Pour les permis de recherche, l’arrêté institutif fixe le programme minimum et l’effort financier annuel. L’absence de démarrage des travaux dans les délais impartis, ou le non-respect du programme de travaux, peut entraîner le retrait….
◦Non-respect des Obligations Environnementales et de Sécurité : Le Code impose des obligations strictes en matière d’environnement et de sécurité…. Cela inclut la soumission d’une Notice d’Impact Environnementale pour les permis de recherche et l’application de techniques adaptées pour protéger l’environnement, la sécurité des travailleurs et de la communauté locale. Le non-respect de ces dispositions, pouvant également entraîner des pénalités en vertu d’autres Codes, peut, dans les cas graves, être considéré comme préjudiciable à l’intérêt général ou une violation de dispositions spécifiques entraînant le retrait.
◦Non-respect des Obligations de Guinéisation (Emploi, Formation, Sous-traitance locale) : Les titulaires ont des obligations progressives concernant l’emploi de personnel guinéen… et la préférence pour les entreprises guinéennes…. Le non-respect des quotas d’emploi entraîne une sanction pécuniaire, mais une défaillance majeure et répétée dans le respect de ces obligations fondamentales de développement local, intégrées dans le plan de développement communautaire…, pourrait être interprétée comme une violation significative du Code menant au retrait.
- Procédure de Retrait
Le retrait d’un Titre minier ou d’une Autorisation ne peut pas être immédiat. Il doit être précédé d’une procédure formelle :
- Mise en Demeure : L’autorité compétente (le Ministre en charge des Mines) doit adresser une mise en demeure au titulaire. Cette mise en demeure invite le titulaire à fournir, dans un délai spécifié, la preuve qu’il a respecté ses obligations avant la date de la mise en demeure.
- Délais de Réponse à la Mise en Demeure : Le titulaire dispose d’un délai d’un (1) mois pour les Permis de recherche et les Autorisations. Ce délai est de quarante-cinq (45) jours pour les Permis d’exploitation et les Concessions minières.
- Restriction d’Activité Pendant la Mise en Demeure : Pendant la période de la mise en demeure, aucune activité technique n’est autorisée sur le titre concerné.
- Décision de Retrait : Si le titulaire ne fournit pas la preuve du respect de ses obligations dans les délais ou si les motifs de retrait persistent, la décision de retrait est prise.
◦ Pour un Permis de recherche ou une Autorisation, la décision est prise par arrêté du Ministre en charge des Mines.
◦ Pour un Titre d’exploitation minière (Permis d’exploitation ou Concession minière…), la décision est prise par décret du Président de la République.
- Avis de la Commission Nationale des Mines : Toute décision du Ministère des Mines d’effectuer un retrait est soumise, pour avis favorable, à la Commission Nationale des Mines.
- Publication : La décision de retrait doit être publiée dans le Journal Officiel et sur le site officiel du Ministère en charge des Mines.
- Date d’Effet : La décision de retrait précise la date à laquelle le Titre ou l’Autorisation prend fin.
- Effets du Retrait
Dès la date d’effet du retrait précisée dans la décision, tous les droits conférés au titulaire par le Titre minier ou l’Autorisation s’éteignent.
Cependant, le retrait n’exonère pas le titulaire de toutes ses responsabilités :
- Le titulaire reste tenu de ses obligations relatives à l’environnement et à la réhabilitation des sites exploités.
- Il reste également tenu de ses autres obligations prévues par le Code minier et ses textes d’application.
- Le titulaire demeure responsable des dommages causés par son activité antérieurement au retrait.
- Enfin, il reste responsable des sanctions encourues du fait des fautes ayant motivé le retrait.
- Recours contre la Décision de Retrait
Le titulaire peut exercer un recours contre la décision de retrait. Ce recours doit être exercé dans un délai de soixante (60) jours à compter de la notification de la décision.
L’exercice de ce recours dans le délai imparti suspend l’exécution de la décision de retrait.
Toutefois, l’autorité qui prononce le retrait peut, dans sa décision, subordonner l’effet suspensif d’un éventuel recours à la constitution par le titulaire d’une caution de garantie. Le montant de cette caution doit être suffisant pour couvrir toutes les obligations restant à la charge du titulaire. Si le recours est rejeté, le montant de cette garantie est acquis à l’État.
En résumé, le retrait d’un permis minier en Guinée est un acte grave réservé aux cas de non-respect significatif des obligations de travail, de dépenses, de démarrage des activités, de transparence, de bonne conduite, de paiement des taxes, ou d’autres violations sérieuses du Code minier, le tout encadré par une procédure stricte de mise en demeure et de droit de recours.
Mohamed CAMARA
Associé Gérant chez MOCAM CONSULTINGminemmine