PARADOXE. Entre les problèmes structurels du secteur énergétique, et les conséquences économiques de la guerre en Ukraine, c’est peu de dire que le Nigeria est dans l’œil du cyclone.
Le tableau brossé par les témoignages de terrain et les informations d’experts est déjà préoccupant. Depuis plusieurs jours, le pays le plus peuplé d’Afrique, qui est aussi première économie et premier producteur de pétrole du continent, est en panne d’électricité sur toute l’étendue de son territoire. Le Nigeria n’est pas autosuffisant en électricité, ses infrastructures sont obsolètes. Bien que les populations aient l’habitude d’utiliser des générateurs alimentés au fuel, la guerre en Ukraine a fait bondir les prix des carburants, ainsi que la demande. Résultat : le pays est plongé dans une grave crise énergétique et économique.
Les Nigérians accablés par les coupures de courant
Sur le terrain, entrepreneurs, marchands, commerçants ou encore entreprises se battent pour travailler. Depuis la mi-mars, la presse locale informe que plusieurs compagnies aériennes locales ont dû annuler des vols à cause d’une pénurie de carburant.
L’Agence France Presse rapport le témoignage de Damy Idowu, qui pendant huit ans s’est démené pour garder ouvert son petit salon de coiffure situé dans un quartier commercial de Lagos en dépit de l’inflation galopante, de deux récessions et de la pandémie de coronavirus. Mais, la semaine dernière, l’entrepreneur a dû se résoudre à fermer boutique, comme beaucoup d’autres au Nigeria – le géant africain faisant face à l’une des pires crises énergétiques de ces dernières années. « Pour fonctionner, mon salon a besoin d’électricité et je ne peux pas me permettre d’utiliser le générateur à cause des prix du diesel », a-t-il confié à nos confrères de l’AFP.
Même constat à Kano, ville industrielle dans le nord du pays, de nombreuses usines sont empêchées de tourner à plein régime. Certains propriétaires ont même arrêté leur chaîne de production. C’est le cas d’Umar Sani Marshall, propriétaire de Marshall Biscuits, une usine de confiserie qui a arrêté de produire ces deux dernières semaines. « La situation actuelle dépasse l’entendement », a-t-il raconté à l’AFP, déplorant des coûts de production « empêchant toute rentabilité ». Un manque à gagner important qui intervient au pire moment pour ce producteur de confiserie, juste avant le mois du Ramadan, où la demande est d’habitude très forte.
Des problèmes structurels dont une corruption endémique
Au Nigeria, premier producteur de pétrole d’Afrique , les pannes d’électricité sont courantes car les infrastructures décaties ne parviennent souvent pas à acheminer l’électricité aux habitants. Avec une population en croissance rapide de 210 millions d’habitants, le pays a connu, au cours de la dernière décennie, un boom des activités commerciales et industrielles qui dépendent largement de l’électricité. Bien que le secteur ait été privatisé en 2013, au fil des ans, la demande d’électricité a dépassé les capacités de production, de transport et de distribution. Et les quelques réformes engagées par le gouvernement n’ont pas suffi à résoudre les problèmes.
Selon la société publique Transmission Company of Nigeria (TCN), les sociétés de production attribuent les pannes actuelles à un mauvais approvisionnement en gaz, à des défaillances des unités de production et à la maintenance. Mais, la corruption, endémique dans de nombreux secteurs au Nigeria, est également pointée du doigt .
Dimanche, le groupe de la société civile SERAP a exhorté le président Buhari à enquêter sur les soupçons de corruption, alors que quelque 11 000 milliards de nairas (24 milliards d’euros) ont été dépensés dans le secteur de l’électricité depuis 1999. Selon eux, ce sont « les montants stupéfiants des fonds publics qui auraient été volés au fil des ans dans le secteur de l’électricité qui ont des effets catastrophiques sur la vie de millions de Nigérians ». Selon les médias locaux, le pays a connu 206 pannes totales entre 2010 et 2019, en raison de la faiblesse du réseau et de son mauvais entretien. Les pénuries d’électricité coûtent au Nigeria environ 29 milliards de dollars, soit quelque 2 % du PIB, selon la Banque mondiale.
Les conséquences économiques de la guerre en Ukraine commencent à se faire sentir
Habituellement, au Nigeria, ceux qui le peuvent utilisent des générateurs à essence ou au diesel pour éclairer leur maison lorsque le courant est coupé . Mais les Nigérians qui n’ont pas les moyens d’en acheter se retrouvent dans le noir. Le prix du gazole a triplé ces derniers jours, passant de 225 nairas le litre (50 centimes d’euro) à près de 800 nairas (presque 1,60 euro). Une conséquence de l’invasion russe en Ukraine, qui a fait s’envoler les cours du brut sur les marchés mondiaux.
La semaine dernière, le réseau national s’est effondré deux fois en 48 heures.
Certaines rues principales de Lagos ne sont plus éclairées la nuit, provoquant des accidents de voitures, tandis que les commerçants éclairent désormais leurs produits à la lumière de leurs téléphones portables.
C’est peu de dire que la situation est grave, ce mercredi 23 mars, un grave incendie a endommagé l’un des principaux ponts de Lagos, détruisant des dizaines de commerces. L’une des responsables du marché a affirmé à l’AFP que le feu a été provoqué par une surtension électrique. « Cela fait 6 jours que nous n’avons pas d’électricité. Quand ils ont remis la lumière vers 2 heures du matin, il y a eu une étincelle qui a provoqué l’incendie », a-t-elle insisté, montrant à l’AFP des fils et câbles brûlés sur les lieux.
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