L’état guinéen récupère peu à peu la forêt classée de Déré, dans la préfecture de Lola, en Guinée forestière. Plusieurs campements sont brûlés suite à une vaste opération de déguerpissement conjointement menée par des forces de sécurité guinéennes et ivoiriennes. Les occupants partent. Mais pour combien de temps ?
Autrefois une forêt dense renfermant des espèces végétales et animales rares et protégées, la forêt de Déré, située à la frontière entre la Guinée et la Côte d’Ivoire, est depuis plusieurs décennies le théâtre d’un pillage systématique. Il n’en reste plus aujourd’hui, qu’une végétation clairsemée.
Mais étaient-ils combien sur ce vaste domaine qui s’étale sur plusieurs dizaines de kilomètres de la Sous-préfecture de N’Zoo à celle de Tounkarata ? Difficile de répondre avec précision à cette question.
Tout ce que l’on sait en revanche avec exactitude est que parmi les occupants illégaux figuraient des Guinéens, Ivoiriens, Maliens, Libériens et des Lobi venus du Burkina Faso. Tous ces occupants illégaux avaient réussi à investir cette forêt protégée et en faire un territoire international sur le sol guinéen, se livrant à l’agriculture, l’élevage et le commerce.
L’ordre de les déguerpir est venu du Président Alpha Condé. En décembre, lors d’une tournée dans la région forestière, il intime aux autorités régionales de la Guinée forestière de faire libérer cette forêt.
C’est finalement en mi-mars que l’opération est entrée en vigueur. Menée conjointement par des gendarmes et des gardes forestiers guinéens et ivoiriens, celle-ci se déroule jusqu’ici sans heurts majeurs, malgré quelques tensions entre occupants et forces sécurité.
Certaines parties de Déré, bien que libérées, n’en demeurent pas moins des territoires hostiles. Des propriétaires des champs de riz, de cacao et café rôdent toujours auprès de leurs plantations. Le risque de s’attaquer à toute personne étrangère est maximal. Les militaires guinéens qui y mènent les patrouillent n’écartent pas toute éventualité.
Campements incendiés
Plusieurs hameaux et campements ont été incendiés. Le déguerpissement a touché « Konankörö », « Kologbèdou » et « Park ». De ce dernier campement, il ne reste plus que des cases brulées et des maisons en tôle démolies.
« Park » était en effet un village fondé au milieu de la forêt par un ivoirien. Devenu par la suite un important centre de négoces, il abritait une école primaire sur laquelle flottait le tricolore ivoirien.
Toutes les habitations de cet endroit ont été mises à sac, parfois sous le regard impuissant de leurs bâtisseurs résolus à partir volontairement ou sous la contrainte.
Le laxisme et la complicité de certaines guinéens aidant, la zone où se situe le campement « Park » était considérée par certains de ses occupants comme partie intégrante de la Côte d’Ivoire. Un poste de contrôle y avait été érigé par des militaires ivoiriens. Pour s’y rendre, chaque passant se faisait extorquer 5000 francs guinéens qui partaient dans la poche des ivoiriens sous le regard de soldats guinéens, impuissants et parfois complices.
Déré, un eldorado agricole
Une partie de Déré est dans la région de Danané, sur le territoire ivoirien. Les autorités ivoiriennes auraient d’ores et déjà récupéré leur forêt classée.
Le sol de Déré est riche et propice à l’agriculture. Au fil des ans, la partie guinéenne est devenue un véritable eldorado agricole.
Plusieurs dizaines de champs de riz et de cultures pérennes tropicales y ont poussé comme des champignons. Aujourd’hui, ses propriétaires ont l’impression d’avoir été injustement chassés.
Le vieux Abou Camara qui a fui la guerre au Libéria y avait déposé sa valise il y a plusieurs années. « J’ai dû laisser mes plantations de café et de cacao dans cette forêt il y a cinq mois lors que le gouvernement guinéen nous a intimés l’ordre de quitter », explique-t-il.
Jérôme Sagno, habitant de « Nigeria », un village guinéen à la lisière de la forêt lui, a été contraint d’abandonner sa plantation d’anacarde. « La forêt de Déré était remplie de personnes. La production de riz était importante. Mais depuis que nous avons été interdits, les gens sont partis », rappelle-t-il.
« Déré est remplie de plantations. Je veux bien que l’Etat guinéen nous donne l’autorisation de retourner dans nos plantations que nous avons été obligés d’abandonner», souhaite pour sa part, Goupou Lah Traoré, un notable de N’Zoo.
Présence militaire discrète
La présence de l’armée est loin d’être dissuasive. Quatre PA assurent la surveillance de la forêt de Déré. Et chaque poste est tenu par trois militaires tout au plus.
Cette partie de la Guinée est inaccessible. Pas de route. La couverture du réseau téléphonique est partielle.
Les PA manquent de groupes électrogènes et de panneaux solaires. Pas de motos de service. Les militaires guinéens travaillent dans des conditions extrêmes.
Sans postes téléviseurs, ni radios, les hommes en treillis sont coupés du reste du pays. « C’est par amour pour la patrie que nous acceptons de travailler ici », susurre un militaire qui a préféré garder l’anonymat. « Cette forêt est très grande. Par manque de moyens de déplacement nous ne pouvons que patrouiller sur environ 20km et retourner », ajoute-t-il.
Les paysans sont partis avec leurs bagages. Certains se sont repliés sur la sous-préfecture de N’Zoo. D’autres se sont retournés en Côte d’Ivoire. Mais tous espèrent qu’avec le temps, ils seront rétablis dans leurs droits, pourront retourner sur leurs terres et poursuivre leurs activités agricoles.
Pour beaucoup, ce retour devra obligatoirement s’opérer, quitte à débourser des espèces sonnantes et trébuchantes.
« Plusieurs déguerpis promettent de revenir tôt ou tard par le biais de la corruption. Ils sont confiants parce que, selon eux, les autorités guinéennes aiment l’argent », conclut le militaire.
De notre envoyé spécial, Samuel Camara (In Emergence Mag N°03-Mai 2019)