Dans un communiqué lu à la télévision nationale le 17/9/2024, le Ministre guinéen des Finances a exhorté les entreprises publiques à déposer leurs états financiers et à procéder au versement des dividendes de l’État pour l’exercice 2023. Cette directive intervient dans un contexte où la gouvernance des sociétés publiques en Guinée est sous le feu des projecteurs, avec des défis persistants et des opportunités d’amélioration.
Historique des Entreprises Publiques en Guinée
La création des entreprises publiques en Guinée remonte au décret du 27 juin 1960, numéro 175/PGR, qui définit la personnalité juridique et les attributs d’une entreprise publique modèle. Ces entreprises ont été créées par décrets individuels faisant référence au modèle de statuts initial. Elles peuvent avoir un caractère industriel, agricole ou commercial, et bénéficient d’une personnalité morale distincte, d’un statut et de l’autonomie financière.
La Conférence économique nationale, un événement annuel instauré en 1972, se tient généralement deux à trois mois après la clôture de l’exercice. Sous le patronage du Président de la République, cette conférence offre une plateforme aux directeurs des entreprises publiques pour présenter leurs difficultés et leurs doléances concernant leurs relations avec les autres entreprises et ministères. Cette initiative vise à améliorer la coordination et la collaboration entre les différentes entités publiques et privées.
Portefeuille de l’État en 2018
Selon le rapport de revue de la gestion des finances publiques suivant la méthodologie PEFA CHECK, l’État guinéen détient des participations dans 51 entreprises, dont seulement 32 sont en activité. Parmi celles-ci, on trouve des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC), des sociétés publiques, des sociétés à participation publique et des sociétés d’économie mixte. Les entreprises actives incluent des géants comme la Société des Eaux de Guinée (SEG), la Société d’Électricité de Guinée (EDG), et la Société Nationale des Pétroles (SONAP).
Les 32 entreprises en activité comprennent également des entreprises minières dans le portefeuille de la Société Guinéenne du Patrimoine Minier (SOGUIPAMI), telles que la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG) et la Société Aurifère de Guinée (SAG). D’autres entreprises notables incluent l’Office National du Tourisme (ONT), l’Office de la Poste Guinéenne (OPG), la Pharmacie Centrale de Guinée (PCG), le Fonds d’Entretien Routier (FER), l’Office Guinéenne de Publicité (OGP), l’Agence Nationale d’Aménagement des Infrastructures Minières (ANAIM), l’Office National des Pétroles (ONAP), la Société Guinéenne de Palmiers à Huile (SOGUIPAH), la Société Guinéenne des Pétroles (SGP), la Loterie Nationale de Guinée (LONAGUI), et bien d’autres.
Cadre Légal des Sociétés Publiques dans l’Espace OHADA
Les entreprises publiques en Guinée sont régies par une combinaison de règles nationales et communautaires, notamment l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique (AUSC-GIE) de l’OHADA. La Loi L/2017/056/AN du 08 décembre 2017, modifiant certaines dispositions de la Loi L/2016/075/AN du 30 décembre 2016, encadre la gouvernance financière des sociétés et établissements publics en République de Guinée.
Le législateur fixe le rôle de la tutelle dans une société publique. L’article 39 de la loi stipule que les ministres sont chargés de définir les missions et les objectifs généraux de l’organisme public, de participer à l’élaboration du contrat de programme et de vérifier qu’il s’inscrit dans le plan de développement de son secteur. Ils doivent également suivre l’exécution du contrat de programme, s’assurer que le développement des organismes publics s’effectue de manière cohérente avec celui des secteurs publics et privés, et procéder à l’examen des budgets annuels de fonctionnement et d’investissement des organismes publics.
Contrôle Financier des Sociétés Publiques
Le contrôle externe des sociétés publiques et mixtes est assuré par le Commissaire aux comptes. Les budgets, comptes prévisionnels et comptes des organismes publics sont publiés sur les sites internet de leurs ministères de tutelle et adressés aux commissions compétentes de l’Assemblée Nationale ainsi qu’à la Cour des comptes. Cette dernière procède au contrôle de la gestion de toute société publique et peut mettre en œuvre la procédure de discipline budgétaire à l’encontre de leurs dirigeants.
Les établissements publics administratifs, les sociétés publiques et les sociétés mixtes appliquent le code des marchés publics dans les conditions prévues par celui-ci. Un rapport annexé au projet de loi de finances retrace l’ensemble des flux financiers intervenus l’année précédente entre l’État et les organismes publics, notamment les subventions et les éventuelles taxes affectées à chacun des organismes publics.
Versement des Dividendes à l’État
Les sociétés anonymes dans lesquelles l’État détient une participation doivent verser un dividende fixé en application du droit des sociétés. Pour les sociétés publiques, les délibérations de leur Conseil d’administration fixant les dividendes doivent être approuvées par le Ministre chargé des finances. En ce qui concerne les sociétés mixtes, la distribution des dividendes se fait conformément aux stipulations du droit des sociétés commerciales et les délibérations de leur Conseil d’administration fixant les dividendes ne sont pas soumises à approbation du Ministre chargé des finances ou à toute autre autorisation administrative.
En 2023, les dividendes perçus se chiffrent à 693,42 milliards de GNF, soit un taux de réalisation de 62%. Ils proviennent principalement des sociétés mixtes à participation majoritaire (69,66%), des sociétés mixtes à participation minoritaire (19,73%) et des sociétés publiques (10,61%). En 2022, ils ont été recouvrés à hauteur de 797,04 milliards de GNF sur une prévision en LFR 2022 de 735,91 milliards de GNF, soit un taux de 108,31%. Entre 2022 et 2023, les dividendes perçus ont baissé de 13%.
Dividendes et Prises de Participation
En 2023, seulement six (6) sociétés publiques sur trente-deux (32) ont payé des dividendes pour un montant de 72,47 milliards de GNF sur un total attendu de 704,64 milliards de GNF, soit 10,28%. Ce faible niveau s’explique par une situation déficitaire récurrente chez les plus importantes notamment la Société des Eaux de Guinée (SEG), la Société d’Électricité de Guinée (EDG) et la Société Nationale des Pétroles (SONAP).
Par ailleurs, en raison des missions de service public à haute sensibilité sociale de ces entités, elles bénéficient des subventions de l’État. Cette situation permet de relativiser la performance financière de ces sociétés au profit de la permanence et de la qualité du service public rendu.
Les sociétés mixtes et celles à participation minoritaire retiennent particulièrement l’attention dans la stratégie de prise de participation de l’État. En effet, les nouvelles souscriptions ou initiatives d’augmentation de capital de ces sociétés sont suivies d’une libération immédiate. Ainsi, ces entités sont plus performantes et distribuent plus de dividendes.
À titre illustratif, un montant de 778,10 milliards de GNF a été versé par les sociétés mixtes et à participation minoritaire en 2022 contre 36,29 milliards de GNF payés par les sociétés publiques. Toutefois, en 2023, les sociétés mixtes et à participation minoritaire ont versé 624,14 milliards de GNF, soit une baisse de 19,79% par rapport à 2022. Cette baisse est due au non-paiement des dividendes de la Société de Gestion de Souapiti (SOGES) et de la Société de Gestion de Kaléta (SOGEKA).
Il convient de souligner que 77,89% des dividendes perçus par l’État proviennent des sociétés du secteur minier notamment la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG), la Société Aurifère de Guinée (SAG) ainsi que les sociétés du secteur de l’énergie à savoir la Société de Gestion de Souapiti (SOGES) et la Société de Gestion de Kaléta (SOGEKA). Ces contributions ont été de 634,35 milliards de GNF en 2022 et 482,15 milliards de GNF en 2023.
Endettement des Sociétés Publiques
Les sociétés publiques, pour la continuité de leur exploitation ou pour la réalisation des investissements stratégiques, ont recours à l’endettement. En 2022, les dettes de toute nature de ces sociétés se chiffraient à 8 032,66 milliards de GNF, dont 95,42% sont constitués de dettes rétrocédées garanties par l’État.
Au regard du niveau élevé d’endettement de ces sociétés publiques, il conviendrait qu’elles soient soumises à des contrats programmes établis sur trois (3) ou cinq (5) ans pour plus d’efficacité dans leur gestion. À date, seules la Société des Eaux de Guinée (SEG) et la Pharmacie Centrale de Guinée (PCG) sont sous contrat programme.
Mesures Envisagées par la Direction Générale du Trésor et de la Comptabilité Publique (DGCTP)
Pour atteindre ses objectifs de mobilisation de recettes, la DGCTP envisage plusieurs mesures, notamment :
- Faciliter le paiement des factures des fournisseurs d’énergie, notamment la SOGES et la SOGEKA, afin de permettre l’encaissement des dividendes issus de ces sociétés, représentant plus de 40% des dividendes projetés.
- Opérationnaliser la plateforme Trésor Pay et Trésor Money pour faciliter la collecte de certaines catégories de recettes non fiscales et optimiser leur niveau de recouvrement.
- Réviser les Arrêtés conjoints de partage de recette pour accroître la mobilisation des recettes administratives.
- Exiger à l’ARPT le versement régulier des parts de l’État dans les redevances collectées.
Mesures Proposées par la Direction Générale du Patrimoine de l’État et des Investissements Privés (DGPEIP)
Pour le cas spécifique des dividendes et des redevances domaniales, la DGPEIP propose les mesures suivantes :
- a) Cas des dividendes :
- Communiquer les données financières dans les délais légaux (cf. loi 056), en vue de leur intégration dans les projections pour une meilleure maîtrise des risques budgétaires.
- Élaborer et mettre en œuvre des contrats programmes et des plans stratégiques cohérents de 3 à 5 ans, afin de partager une vision et d’arrimer la stratégie aux politiques sectorielles et aux contraintes budgétaires.
- Mettre en place un cadre règlementaire fixant la rémunération du personnel des organismes publics en vue d’une meilleure maîtrise de la masse salariale.
- Revoir le modèle économique de certaines sociétés publiques (FER, AGEROUTE, SNG, CGC, ANAIM, OGP, SOGUIPAMI…), basé sur la perception des redevances d’exploitation d’un service public au nom et pour le compte de l’État (trésor public).
- Restructurer certaines sociétés publiques (Copéol Guinée, FER, EDG…).
- Veiller au respect des délais de versement des dividendes et à l’application des pénalités de retard, au cas échéant.
- b) Cas des redevances domaniales et droits topographiques :
- Recenser de manière exhaustive les domaines bâtis et non bâtis de l’État (cartographie).
- Veiller au respect des délais de paiement et à l’application des pénalités de retard, au cas échéant.
- Réviser les baux.
- Domiciliation des Comptes des Sociétés Publiques
Contrairement aux établissements publics administratifs, les sociétés publiques peuvent domicilier leurs comptes dans les banques commerciales en Guinée. Elles peuvent également utiliser tous les instruments de financement à court terme mis à leur disposition par ces banques.
Recommandations pour la Gouvernance et la Compétitivité des Entreprises Publiques
Pour améliorer la gouvernance et la compétitivité des entreprises publiques, plusieurs recommandations ont été formulées, notamment :
- Engager un processus de certification des entreprises publiques selon la norme ISO.
- Clarifier les conditions de l’exercice de la tutelle et adopter un statut type des entreprises publiques.
- Instaurer une revue annuelle des entreprises publiques.
- Concevoir et mettre en œuvre un système de pilotage et de planification stratégique.
- Rechercher l’équilibre entre les différentes fonctions de l’État pour l’atteinte des objectifs clés de l’État Actionnaire.
- Utiliser efficacement les deniers publics et assurer la mise en œuvre des politiques sectorielles.
- Gérer les droits attachés aux participations et droits qu’il détient de façon adaptée à la structure juridique de chaque entité.
- Valoriser le patrimoine.
Conclusion
Le communiqué du Ministre des Finances souligne l’importance de la transparence et de la rigueur dans la gestion des entreprises publiques. En exigeant la soumission des états financiers et le versement des dividendes, le gouvernement guinéen vise à renforcer la gouvernance et à maximiser les revenus de l’État, tout en assurant la pérennité et l’efficacité des services publics.
Sources: Auteur, Rapport PEFA CHECK 2018, DPPB 2025:2027, MEF
Mohamed Camara
Consultant à Emergencegn.net