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La reddition des comptes et décentralisation en Guinée : quels impacts sur la gouvernance locale ?

Depuis les années 1980, la décentralisation s’est imposée comme une réforme majeure dans de nombreux pays africains, y compris la Guinée.

Elle vise à rapprocher l’administration publique des citoyens en transférant des compétences et des ressources aux collectivités locales. En Guinée, cette démarche s’inscrit dans une volonté de modernisation de la gouvernance et de renforcement de la participation citoyenne. Toutefois, la réussite de ce processus repose sur un mécanisme essentiel : la reddition des comptes, qui garantit la transparence et la responsabilité dans la gestion des fonds publics. Cet article examine les impacts de la décentralisation sur la gouvernance locale en Guinée, en mettant en lumière les défis de gestion des ressources et les mécanismes de responsabilisation des collectivités.

I. LA DECENTRALISATION EN GUINEE : UN PROCESSUS EN CONSTANTE EVOLUTION
La décentralisation en Guinée est encadrée par un ensemble de lois et de règlements visant à définir les compétences et les responsabilités des collectivités locales. Parmi les textes clés, on retrouve :
La loi L/2017/030/AN portant organisation des collectivités locales, qui attribue des compétences spécifiques aux communes en matière de santé, d’éducation, d’eau potable, et d’aménagement du territoire.
Le Code des collectivités locales, qui fixe les modalités de gestion des ressources humaines et financières au niveau local.
Malgré ces avancées, la mise en œuvre de la décentralisation reste complexe. Le transfert effectif des compétences de l’État central aux collectivités locales est souvent entravé par des contraintes institutionnelles, un manque de volonté politique, et des insuffisances dans la coordination entre les différents niveaux de gouvernance.

II. DECENTRALISATION ET GESTION DES RESSOURCES LOCALES : ENTRE OPPORTUNITES ET DEFIS

Les opportunités offertes par la décentralisation

La décentralisation en Guinée vise principalement à améliorer l’efficacité de la gestion des ressources publiques. En rapprochant les centres de décision des communautés, elle offre la possibilité d’adapter les politiques publiques aux réalités locales. Par exemple :
Les communes peuvent identifier et prioriser les besoins spécifiques de leurs populations, qu’il s’agisse de la construction d’écoles, de la réhabilitation de routes ou de l’amélioration des services de santé.
La participation citoyenne dans l’élaboration des plans de développement locaux (PDL) renforce la légitimité des décisions et favorise l’appropriation des projets par les communautés.

Les défis de la gestion des ressources locales
Malgré ces opportunités, les collectivités locales en Guinée font face à de nombreux défis liés à la mobilisation, à la gestion et à l’utilisation des ressources financières :
Insuffisance des ressources financières : Les recettes propres des communes, provenant principalement des taxes locales et des droits de marché, restent faibles. Par ailleurs, les transferts de l’État central sont souvent tardifs et insuffisants.
Manque de capacité technique : Beaucoup de collectivités locales manquent de personnel qualifié pour gérer efficacement leurs budgets et mettre en œuvre leurs projets de développement.
Risque de corruption : L’opacité dans la gestion des fonds publics au niveau local favorise des pratiques de détournement et de mauvaise gestion, réduisant l’impact des investissements publics.

 

III. LA REDDITION DES COMPTES : UNE CLE POUR LA TRANSPARENCE ET LA RESPONSABILITE

Définition et importance de la reddition des comptes
La reddition des comptes est un processus par lequel les collectivités locales rendent compte de l’utilisation des fonds publics qui leur sont alloués. Ce mécanisme constitue une pierre angulaire de la transparence financière et de la bonne gouvernance. En Guinée, il est encadré par plusieurs dispositifs :
Le contrôle administratif : Assuré par les préfets et gouverneurs, ce contrôle vise à vérifier la conformité des décisions locales avec les lois et règlements en vigueur.
Le contrôle juridictionnel : Réalisé par la Cour des comptes et l’Inspection Générale de l’Administration, il évalue la régularité des dépenses et détecte les cas de mauvaise gestion.
Le contrôle citoyen : Bien que moins développé, ce mécanisme repose sur la participation des citoyens, qui peuvent exiger des comptes à leurs élus locaux.

Les limites du système de reddition des comptes
Malgré l’existence de ces dispositifs, plusieurs faiblesses persistent :
Opacité des procédures : Peu de collectivités locales publient régulièrement des rapports financiers accessibles aux citoyens.
Manque de ressources des organes de contrôle : Les institutions chargées de superviser la gestion des collectivités locales manquent souvent de moyens humains et matériels pour remplir efficacement leur mission.
Impunité des responsables : Les cas de détournements de fonds publics ou de mauvaise gestion sont rarement sanctionnés, ce qui affaiblit la crédibilité du système.

 

 

 

 

IV. DECENTRALISATION ET GOUVERNANCE LOCALE : UN BILAN MITIGÉ

Des avancées notables
Dans certaines communes, la décentralisation a permis de :
Améliorer la qualité des infrastructures locales, comme les écoles et les centres de santé.
Renforcer la participation citoyenne à travers des consultations publiques et des forums communautaires.
Des défis persistants
Cependant, les résultats restent inégaux et dépendants de plusieurs facteurs, tels que :
La volonté politique des élus locaux et leur engagement envers la transparence.
La capacité des citoyens à surveiller la gestion locale et à demander des comptes.
L’appui technique et financier fourni par l’État central et les partenaires au développement.

V. RECOMMANDATIONS POUR RENFORCER LA GOUVERNANCE LOCALE EN GUINÉE
Pour maximiser les impacts positifs de la décentralisation et de la reddition des comptes, il est essentiel de :
Renforcer les capacités institutionnelles : Former les élus locaux et le personnel administratif sur les pratiques de bonne gouvernance et de gestion financière.
Promouvoir la transparence et la participation citoyenne : Encourager les collectivités locales à publier leurs budgets et leurs rapports financiers, et à organiser régulièrement des consultations citoyennes.
Sanctionner les abus : Mettre en place des mécanismes de sanction efficaces pour lutter contre la corruption et les détournements de fonds.
Mobiliser des ressources financières supplémentaires : Explorer de nouvelles sources de financement, telles que les partenariats public-privé et les fonds de développement internationaux.
Renforcer le rôle des organes de contrôle : Accroître les ressources de la Cour des comptes et des inspections générales pour garantir un suivi rigoureux de la gestion locale.

Conclusion
La décentralisation, accompagnée d’un mécanisme rigoureux de reddition des comptes, constitue une opportunité majeure pour améliorer la gouvernance locale en Guinée. Cependant, son succès dépendra de la capacité des acteurs locaux et nationaux à surmonter les défis actuels et à instaurer une culture de responsabilité et de transparence. En investissant dans des institutions solides et en impliquant davantage les citoyens, la Guinée pourra transformer ses collectivités locales en moteurs de développement durable et de démocratie participative.

BIBLIOGRAPHIE
I. Ouvrages et articles
Agbodjan, F. & Lemoine, J.-L. (2009). Décentralisation et gouvernance locale en Afrique : Enjeux et perspectives. Paris : L’Harmattan.
Bodin, J. (2015). La décentralisation en Afrique : Entre promesses et défis. Bruxelles : Bruylant.
Diaw, A. (2018). « Décentralisation et gestion des ressources locales en Afrique de l’Ouest. » Revue Internationale des Politiques Publiques, vol. 7, n° 3, pp. 45-63.
Ribot, J. C. (2004). Waiting for Democracy: The Politics of Choice in Natural Resource Decentralization. Washington DC: World Resources Institute.
Sagna, J. (2017). « La réédition des comptes dans les collectivités locales : Un levier pour la transparence en Afrique subsaharienne. » Revue Juridique Africaine, vol. 12, pp. 89-102.

II. Documents officiels et rapports
République de Guinée (2017). Loi L/2017/030/AN portant organisation des collectivités locales. Conakry : Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation.
République de Guinée (2019). Rapport sur l’état de la décentralisation en Guinée. Conakry : Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation.
Banque Mondiale (2021). Renforcer la gouvernance locale pour un développement inclusif en Guinée. Washington DC : Banque Mondiale.
Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) (2020). Analyse de la gouvernance locale et de la participation citoyenne en Guinée. New York : PNUD.
Union Africaine (2016). Charte africaine sur les valeurs et les principes de la décentralisation, de la gouvernance locale et du développement local. Addis-Abeba : Union Africaine.

III. Articles de presse et ressources en ligne
Jeune Afrique (2022). « Décentralisation en Guinée : une réforme toujours en chantier. » En ligne
Transparency International (2021). « La lutte contre la corruption dans les collectivités locales en Guinée. » En ligne
Afrobaromètre (2020). « Perceptions citoyennes sur la décentralisation et la transparence en Guinée. » En ligne

IV. Travaux universitaires
Diallo, M. (2019). La décentralisation en Guinée : Enjeux et limites dans la gestion des collectivités locales. Thèse de doctorat, Université Général Lansana Conté de Sonfonia.
Camara, S. (2021). L’efficacité des mécanismes de réédition des comptes dans les communes guinéennes. Mémoire de Master, Université de Conakry.

V. Droits et législations
République de Guinée. Code des collectivités locales. Disponible sur le site du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation.
Charte africaine sur la décentralisation (2016). Disponible sur le site de l’Union Africaine : https://www.au.int.

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Lancine Doumbouya
Consultant – Auteur
Fondateur – Associé-Gérant de BALIMANA CONSULTING & INVESTMENT SARL
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