REPORTAGE EXCLUSIF — De son vivant, on le surnommait le « Président paysan ». A sa mort, certains citoyens qui bénéficiaient des avantages provenant notamment de la plantation de palmiers ont encore sa nostalgie. Lui, c’est le feu Général Lansana Conté (GLC). Natif de la sous-préfecture de Koba, village de Bouramaya, l’ex-président faisait l’agroforesterie sur un domaine de près de 3 000 Hectares.
Jadis bien ménagés, ces milliers d’hectares de palmiers à huile sont aujourd’hui abandonnés à leur guise, puisque ne connaissant aucun entretien. Des lignes de palmiers à perte de vue, alignés avec des branches vertes et jaunâtres voire sèches, sont dressées au-dessus des herbes sauvages. C’est dans cet état que se trouve aujourd’hui la plantation du feu Général Lansana Conté.
De son vivant, après la récolte, cette plantation, acquise de façon « légale » avec des « attestions et des titres fonciers » générait des dizaines de milliards de francs guinéens. Pour comprendre les tenants et les aboutissants de cet espace, Emergence Magazine s’y est intéressé.
Ce samedi 27 septembre 2019, Kadiatou Soumah, 38 ans, mère de 4 enfants fait l’extraction de l’huile de palme avec quatre autres femmes, sur l’autre rive de la plantation de feu Général Conté. Au milieu d’une fumée blanche, entre des futs noirs entreposés sur des pierres qui servent de trépieds, Mme Soumah se sert d’une vanne pour allumer le feu. Un feu qui sert à bouillir les régimes de palmiers, afin d’extraire l’huile rouge.
« Du vivant du Président Lansana Conté, ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui à la main, on ne le faisait pas. Il y avait l’usine qui fonctionnait. Et quand le Président venait nous trouver en train de travailler, il nous offrait de l’argent, du riz et beaucoup de vivres. Mais de nos jours, c’est difficile. On ne reçoit pas tout ça », témoigne Mme Kadiatou Soumah.
Ce n’est pas tout. Elle affirme que du vivant du feu Général Conté, il y avait une centaine de gardiens qui surveillaient la plantation. « Tous ces gardiens étaient bien payés. Mais actuellement, les gardiens sont moins de 20 et ils ne sont pas du tout payés. Ils coupent les régimes de palmiers avant qu’ils ne soient mûrs pour nous revendre afin qu’ils trouvent à manger », révèle la jeune mère.
Daouda Camara, la quarantaine d’années, est un cultivateur à Bouramaya. Un béret noir vissé sur la tête, tenant une hache dans la main gauche, sur une paire des bottes, raconte : « Quand le Président vivait, la plantation était bien entretenu. Il y avait des machines pour défricher, et on faisait des produits pour désinfecter les domaines. Et les rendements étaient énormes. Les gens étaient bien payés pour s’occuper de la plantation. »
M. Camara se souvient des temps de gloire sous l’ère Conté comme hier.
« On achetait le sac de riz à 25 000 GNF. Ici, on ne connaissait pas un sac de riz à 100 000 GNF. Le président nous ravitaillait en riz, de l’argent et des vivres. Mais maintenant, nous n’avons plus tous ces privilèges », se désole-t-il.
Après plus d’une heure de recherche dans la plantation, nous avons retrouvé le chef de chantiers (gardiens). Comme ses prédécesseurs, Abdoulaye Camara qui est le responsable de la surveillance des 2 920 Ha bénéficiait des avantages venant du Président Conté. Comparant le vivant du Général et sa vie d’aujourd’hui, M. Camara affirme que les gardiens vivent aujourd’hui dans des conditions « difficiles ». Alors qu’ils étaient au nombre de 100, aujourd’hui, seulement 17 personnes continuent de surveiller la plantation.
« Nous ne sommes pas payés. On ne gagne que ce que l’on vend. Notre patron (Ousmane Conté, fils du feu président, ndlr) vient nous nourrir d’espoir et des promesses. Il nous encourage de continuer, en disant qu’une société viendra bientôt reprendre la plantation. Et nous serons payés. Mais nous ne voyons toujours rien », s’exclame Abdoulaye Camara.
Pertes économiques
Le directeur préfectoral de l’agriculture de Boffa dit avoir « les larmes aux yeux » lorsqu’il voit l’état actuel de la plantation.
« Aujourd’hui, l’entretien n’est pas la préoccupation des paysans riverains de la plantation. Ce qu’ils font, quand les régimes sont bien mûrs, ils ont des javelots, ils récoltent parce que ce sont les régimes qui les intéressent », déplore le Dr Alsény Camara qui précise que ce domaine est de 2 920 Ha.
Selon ces explications, le palmier est une plante qui peut avoir 25 ans de vie. Et pour réussir dans sa production, il faut prioriser trois choses : la taille de formation, l’entretien et la taille de fructification.
« Vous savez qu’un seul palmier peut donner 20 litres d’huile. Donc, si vous avez pour un Ha 100 plants, vous multipliez par 20 litres, ça vous donne 2000 litres. A supposer qu’aujourd’hui le bidon de 20 litres est vendu à 200 000 GNF x 2 920 Ha = 58 milliards 400 millions GNF. Si c’est bien entretenu, on n’a même pas besoin d’aller ailleurs. Mais aujourd’hui la population fait de ça un abreuvoir », souligne-t-il.
Des signaux d’espoir
Daouda comme Abdoulaye Camara nourrissent l’espoir de voir une société ou des bonnes volontés venir reprendre les activités de la plantation du Lac-Koba. « Nous avons perdu tous les avantages. Et nous vivons au jour le jour », se plaint l’agriculteur Daouda.
Pour sa part, Abdoulaye émet le souhait qu’une société vienne reprendre la plantation pour leur permettre de bénéficier des meilleures retombées. Néanmoins « nous restons derrière Ousmane Conté, parce que sans lui, nous ne pouvons rien faire », admet notre interlocuteur, le regard dans le vague.
In Emergence Mag N°7