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INTERVIEW – Bruno Silete Hounkpati, Directeur Général de LafargeHolcim Guinée : « Nous allons reprendre notre place de leader »

A la tête de LafargeHolcim Guinée « ex Ciment de Guinée » depuis maintenant un an, Bruno S. Hounkpati et son équipe ont engagé de grandes réformes visant à imposer la filiale du groupe franco-suisse et Marocain sur le marché du ciment en Guinée. Fort d’une vingtaine d’années d’expérience dont neuf dans les filiales du groupe LafargeHolcim en France, en Égypte, au Malawi et au Nigéria, M. Hounkpati ne dissimule pas ses ambitions : celles de faire de LafargeHolcim Guinée, le leader dans son secteur. Entretien exclusif.

Emergence : Monsieur Hounkpati dans quel contexte avez-vous pris les rênes de LafargeHolcim Guinée ?

S. Hounkpati LafargeHolcim Guinée : Après plus de 30 ans d’existence, Ciment de Guinée est devenu LafargeHolcim Guinée en 2016 avec la fusion entre les groupes Lafarge et Holcim. Je suis arrivé en Guinée pour deux raisons. La première, c’est de continuer le redressement de la société qui a connu des moments assez difficiles. Ma deuxième mission consiste à développer LafargeHolcim Guinée avec notre projet d’augmentation de capacité. Nous triplons actuellement notre capacité de production, plus de volumes donc à mettre sur le marché. Je suis là pour travailler avec les équipes pour mener à bien cette mission. Notre objectif est de retrouver notre place de leader sur le marché.

C’est en 2016 que « Ciment de Guinée » est devenue « LafargeHolcim Guinée ». Ce changement de dénomination intervenait toutefois dans un contexte économique difficile pour l’entreprise. Aujourd’hui comment se porte cette unité industrielle ?

Nous faisons partie aujourd’hui des 80 filiales du leader mondial en matériaux de construction, nous bénéficions d’une expertise de plus d’un siècle du Groupe et d’un réseau de professionnels dans les métiers de la construction qui nous permet de récupérer notre place d’antan.

Nous avons fait beaucoup de progrès depuis l’année dernière, nos ventes ont progressé, nos résultats aussi et les équipes sont engagées pour l’exécution de notre plan d’expansion et de reconquête du marché.

Le changement de nom a-t-il entrainé des changements dans l’actionnariat ?

L’actionnariat n’a pas réellement changé. L’actionnaire majoritaire est toujours LafargeHolcim à travers notre filiale LafargeHolcim Maroc Afrique(LHMA). Ensuite vient l’Etat Guinéen dont la part n’a pas diluée avec la fusion. Les administrateurs de l’Etat participent à nos conseils d’administration, comités stratégiques ainsi qu’aux réunions d’assemblées générales. Ils suivent avec nous la gestion et les résultats de l’entreprise.

Quelle est la capacité de production aujourd’hui ?

Nous allons tripler notre capacité pour passer à presque 1 million de tonnes par an. L’objectif  est de retrouver notre place de leader sur le marché. Nous étions leader en Guinée et nous allons reprendre notre place en mettant nos clients au cœur de nos développements produits et une meilleure qualité de service.  Nous sommes la filiale d’un Groupe leader mondial en innovations diverses en matériaux  et solutions de construction. Notre activité va au-delà de la production de ciment, quoiqu’en Guinée, à ce jour, c’est ce que nous faisons. Mais ailleurs,  nous développons des solutions de construction qui vont d’applications très basiques en termes de construction de maisons individuelles, logements abordables vers des applications un peu plus complexes : des bétons décoratifs,  le béton qui laisse passer de l’eau pour éviter les inondations par exemple, les routes en béton etc… Donc, nous avons vraiment une gamme étendue de produits et services, et avec la nouvelle capacité, nous allons proposer certaines de ces solutions à nos clients ainsi qu’à nos prospects en  Guinée.

BRUNO SILETE HOUNKPATI – Directeur Général LafargeHolcim Guinée

Existe-t-il  d’autres innovations pour faire face à l’environnement concurrentiel en Guinée ?

Un ouvrage de qualité (bâtiment, route, pont…) est construit pour au moins 50 ans donc la qualité du ciment est la donnée de base non négociable, viennent ensuite les compétences utilisées pour les travaux…

Nous mettons l’accent sur les innovations spécifiques qui améliorent l’expérience client en simplifiant le processus d’achat du ciment en Guinée, les aider à mieux boucler leurs projets et rapidement par un accompagnement de nos techniciens, au meilleur coût.

Parlant d’expérience client, nous venons de rendre accessible à tous les Guinéens résidant en Guinée l’achat de ciment en 2 minutes en tapant *144*4*10# depuis votre téléphone avec notre partenaire Orange Money. Ceci sera aussi bientôt possible avec Yup. Cette offre sera étendue sous peu à d’autres produits de la chaîne de valeur et à la diaspora Guinéenne  qui pourra commander directement du ciment et autres produits compléments et se faire livrer en Guinée.

A combien peut-on estimé le nombre d’emplois créé par LafargeHolcim Guinée ?

Nous avons aujourd’hui en emploi direct un effectif d’un peu moins de 130 personnes. Si nous incluons les intérimaires,  nous sommes environ un peu moins de 300 personnes. En plus, nous aurons créé d’ici la fin de cette année 200 emplois rien qu’à Conakry et environs avec notre réseau de vente de distribution Binastore que nous allons étendre à d’autres régions. Le modèle Binastore représente une opportunité pour de jeunes entrepreneurs et aussi des professionnels. Nous travaillons avec environ 120 PME et fournisseurs locaux. Soit mille 1,000 emplois directs d’ici la mise en route de notre nouvelle capacité.

Qu’est-ce qui vous différencie de vos concurrents en termes de conditions salariales et de travail?

Ma philosophie en la matière est de bien m’occuper des employés pour qu’ils s’occupent exceptionnellement de nos clients. Chez LafargeHolcim Guinée, le personnel est au cœur de notre stratégie. Nous avons une politique Groupe qui définit la manière dont nous traitons nos salariés et nous faisons en sorte que l’environnement de travail soit sûr pour tous. Nous avons également tout un programme santé pour nos employés et leurs familles. Et au-delà, la compensation que nous proposons est assez compétitive avec en plus beaucoup d’avantages en matière de formation et d’opportunités de développement à l’étranger dans d’autres filiales du Groupe. Nos employés bénéficient de la connaissance et de l’expérience du réseau de notre Groupe LafargeHolcim.

Cinq cimentiers se partagent le marché guinéen qui, de l’avis de plusieurs analystes, est relativement petit. Pour faire face à cet environnement concurrentiel, quel a été le niveau des investissements ?

Nous avons dû porter notre capital à 87 milliards de Francs Guinéens pour entamer notre projet d’augmentation de capacité. Ceci s’est fait avec l’Etat actionnaire. Cette augmentation de capital  nous a donné une capacité d’investissement et de bons ratios financiers. Nous continuons d’investir pour mettre à niveau notre outil de production. Notre investissement pour la nouvelle capacité est de l’ordre  de 15 millions de francs suisses environ 140 milliards de Francs Guinéens. Nous avons déjà lancé des recherches de matières de premières que nous utilisons dans la production du ciment pour réduire à terme notre dépendance à l’importation. D’autres possibilités d’investissement sont en cours d’étude et je communiquerai en temps opportun.

En novembre 2018 vous avez lancé le « Programme Jeunes Talents ». De quoi s’agit-il ?

Les entreprises ont du mal à recruter des compétences dans plusieurs domaines aujourd’hui en Guinée. Nous avons justement lancé ce programme pour régler ce problème en amont en donnant l’opportunité aux jeunes Guinéennes et Guinéens ayant du potentiel d’apprendre en entreprise dans un environnement qui s’y prête. Le talent n’est rien sans l’expérience que l’on acquiert à force de travail.

Nous avons sélectionné 15 jeunes de niveau Bac+4 avec peu ou pas d’expérience sur la base de leur potentiel, capacité cognitive et aptitude au travail en équipe. Nous leur donnons l’opportunité d’apprendre  et de s’insérer très vite dans la vie professionnelle. Je crois vraiment au modèle de développement de compétences par l’apprentissage sur le terrain avec des projets précis et au contact de personnes plus expérimentées. Le programme est conçu autour de ce modèle. Ces jeunes travaillent chacun sur des projets et problématiques à forte valeur ajoutée pour nos opérations sous la supervision de leur hiérarchie.

Pour un bilan à mi-parcours, je suis plutôt satisfait d’avoir fait ce choix et misé sur ces jeunes qui font preuve de volonté, ambition pour apprendre assez vite. Quotidiennement, Ils nous prouvent qu’ils sont capables de s’adapter  au milieu professionnel et d’apprendre assez vite. Et l’apprentissage continue…

Quelles sont les perspectives de LafargeHolcim Guinée en termes d’investissements et d’accroissement des capacités de production pour répondre aux besoins de plus en plus croissants liés au BTP et à la construction des infrastructures énergétiques dans le pays ?

Le marché guinéen est très dynamique. Même si nous avons enregistré  une forte progression de la demande entre 2017 et 2018, nous notons un léger ralentissement de la demande du ciment entre 2018 et 2019. La capacité installée en Guinée aujourd’hui passera à 4 millions de tonnes  d’ici quelques mois contre une demande annuelle en dessous de 2 millions de tonnes, soit une demande aujourd’hui à 50% de la capacité installée. Nous espérons que les grands projets d’infrastructures (les barrages, les ponts, routes etc..) et les plans de dynamisation de l’économie annoncés par le gouvernement une fois concrétisés permettront une amélioration de la capacité d’utilisation de toute l’industrie.  Nous restons positifs pour la suite, la Guinée a un potentiel énorme avec une économie en pleine mutation.

Nous continuons le redressement de la société avec de bonnes perspectives. Pour vous donner une idée de la croissance de notre société aujourd’hui, entre 2016 et 2017, nos volumes ont augmenté de 25% et de 21% entre 2017 et 2018. En termes de résultats,  en 2018, nous avons doublé les résultats opérationnels de 2017 grâce à une meilleure maîtrise de notre portefeuille clients, nos coûts et marges. Donc, le redressement de la société est en très bonne voie. Avec les résultats que nous faisons aujourd’hui,  le groupe va continuer à investir en Guinée comme l’a d’ailleurs souligné Mr Fihri le Président du Conseil d’Administration de LH Maroc-Afrique lors de son dernier passage à Conakry.

Quel est votre mot de fin ?

Le Groupe LafargeHolcim croit en la Guinée et à ses perspectives de développement. Il y a certes des défis sur le plan énergétique, logistique et autres mais les opportunités sont aussi importantes. Nous entendons accompagner tous les acteurs et nos clients avec nos produits et solutions grâce à notre expertise locale et au niveau Groupe. Le capital humain est une composante essentielle dans cette démarche et nous investissons aussi en ce sens  pour préparer la relève.

Je vous remercie

Interview réalisée par Youssouf Diallo et Samuel Camara (In Emergence Mag N°6 de Août 2019)