Sur les îles de Tristao, archipel situé à Boké dans la partie nord du littoral Guinéen, près de la frontière avec la Guinée-Bissau, l’Etat guinéen, des organisations non-gouvernementales et les citoyens sont à pied d’œuvre pour restaurer et préserver la mangrove et ses richesses inestimables. Reportage.
L’archipel de Tristao est isolé du reste de la Guinée. Pour y accéder, le seul moyen de transport reste les pirogues. Les insulaires, en conditions de vie précaires, sont dépendants des marées pour tout déplacement. Sur place, pas de véhicule, pas de train. Pour rallier une localité, il faut marcher ou emprunter une moto, déplacer une barque ou enfourcher un vélo.
Les iles Tristao ont le statut d’aire marine protégée (AMP) communautaire depuis 2013. L’AMP de Tristao dispose 120 000 hectares de mangroves.
A l’origine, cette AMP visait à « assurer la protection de l’île, la conservation participative de sa biodiversité socioculturelle, en vue de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des communautés qui y vivent ».
Les populations de cet archipel constitué de quatre districts vivent principalement de la riziculture. La pêche et de la saliculture constituent des activités secondaires pour les dix milles âmes qui peuplent les îles.
Des activités qui ne sont pas sans conséquences sur les forêts de mangrove. Cette végétation qui entoure et protège environ 90 % des côtes des îles Tristao contre l’érosion côtière, l’émission des gaz à effet de serre et autres aléas, diminuent de façon inquiétante.
A tel point que les iles Tristao subissent de nombreuses menaces liées à de multiples facteurs de dégradation de l’environnement provoqués essentiellement par les activités anthropiques. La destruction abusive de la forêt de mangrove, et autres pratiques non respectueuses de l’environnement, entrainent des changements climatiques et l’exode rural sur l’archipel paradisiaque.
Le patriarche du village de Katfoura, M. Aly Kabalan Camara, 95 ans, affirme que les conditions climatiques et les changements qui s’opèrent au niveau des îles Tristato restent inquiétants.
«Je suis en train de voir certaines choses que je n’avais pas vues à mon jeune âge. Il fait de plus en plus chaud. Les pluies se font rares. Les marées deviennent de plus en plus hautes que par le passé », s’inquiète-t-il. « J’ai l’impression que la mer avance vers nos villages et nous sommes obligés de reculer pour conquérir des nouveaux espaces», ajoute le vieil homme.
A Tristao, les eaux de mer avancent à grand pas. Les digues de protection ne servent plus à grand-chose. Les exploitants rizicoles abandonnent peu à peu leurs périmètres pour coloniser de nouveaux espaces. Ce qui entraine au fil des années des déboisements de nouvelles superficies pour l’activité culturale.
La productivité en baisse
L’exploitation forestière, la coupe du bois de mangrove et le fumage du poisson sont des pratiques que subissent les écosystèmes des îles Tristao. A celles-là s’ajoutent l’extraction du sel de mangrove, l’agriculture, la carbonisation, l’élevage, la pêche artisanale et industrielle et la chasse.
Pour le Président du Comité de gestion de l’AMP (Aire marine protégée), Babady Camara, cette réalité constitue une préoccupation majeure au sein de la communauté essentiellement rizicole. « Nos difficultés majeures se situent au niveau de la remontée saline. Nous faisons des digues dans la mangrove qui disparaissent sous l’effet des eaux salées. En ce moment, nos récoltes ne sont pas bonnes. Nous sommes obligés de nous tourner ailleurs».
Aussi, l’immigration incontrôlée des pêcheurs de pays voisins a une incidence très marquée sur la faune et la flore de mangrove. Autant de facteurs qui rendent l’archipel de plus en plus vulnérable.
Aïssata Kaféenn Keita, leader des femmes du district de Katfoura, explique que la défectuosité des digues provoque aujourd’hui la baisse des rendements rizicoles.
Au niveau de la pêche, les captures aussi ont chuté. « L’incidence des émigrés qui dévastent les mangroves constitue une cause », croit savoir madame Kéita.« L’autre aspect, c’est la raréfaction des habitats de poissons détruits surtout par les étrangers qui ne se préoccupent pas du respect des normes environnementales. Conséquences, les zones de pêche s’éloignent de plus en plus des communautés. Les sont obligés d’aller entre 2 à 3 km pour avoir du poisson. Et les pirogues disponibles ne sont pas adaptées à cette pratique», affirme-t-elle.
Une riche diversité biologique à sauver
L’archipel possède une grande diversité d’espèces d’oiseaux d’eau et des mammifères marins, constituées principalement de Dauphins et de Lamantins, de même que les tortues marines. Parmi les espèces de faune terrestre, il existe la Loutre à cou tacheté, le porc-épic, la mangouste des marais, le singe vert, le Colobe noir et blanc, l’Aulacode et le Phacochère.
Pour changer la donne, le Projet de conservation de la mangrove est lancé.
Financé par DobEcology et mis en œuvre par le Partenariat Régional pour la Conservation de la zone côtière et Marine en Afrique de l’Ouest (PRCM) et les ONG Guinée Ecologie, PREM en collaboration avec OGUIPAR, le Projet de conservation de la mangrove dans les îles de Tristao veut d’accroître la superficie de la mangrove. Pour cela, il ambitionne la plantation et la régénération naturelle de même que la mise en œuvre des mesures concrètes pour une gestion durable de la mangrove.
Il intervient dans le cadre de l’accompagnement des communautés à la protection des périmètres rizicoles à travers la réhabilitation des digues, afin d’éviter les abandons de rizières. Ce qui va pallier les effets néfastes des attaques illicites et incontrôlées des forêts de mangroves des îles de Tristao et répondre aux facteurs qui rendent vulnérables ces îles.
Dans les localités comme Katfoura et Kaatcheck, l’initiative est en pleine exécution. Les exploitants rizicoles sont dotés d’une cinquantaine de tuyaux PVC de diamètre 250 mm et d’équipement devant leur permettre de reconstruire les digues de protection.
La réalisation de ces barrières permettra de restaurer les périmètres rizicoles abandonnés suite à l’avancée de la mer et de sédentariser les exploitants sur les anciens domaines rizicoles, commente Aboubacar Soumah, le Coordinateur du Projet.
Les communautés s’impliquent dans le combat pour la restauration de la mangrove. Et comme le souligne Daouda Camara, un consultant engagé par le projet, 2400 mètres de digues répondant aux normes ont été réalisés de mars à juin par les communautés elles-mêmes.
Dans les communautés, des équipes de cinq membres ont été mises en place pour gérer les périmètres récupérés et éviter de nouvelles agressions de la mangrove.
« Nous saluons ce projet qui aspire à nous tirer de la souffrance », se réjouit Ibrahima Kéita, Président du Comité de gestion des périmètres de Katfoura.
A l’horizon 2022, le Projet de conservation de la mangrove veut augmenter la superficie de la mangrove de 1400 hectares. Les activités consisteront à restaurer 400 hectares, à reboiser 200 hectares, puis récupérer 800 autres hectares à travers la promotion des meilleurs pratiques et l’utilisation rationnelle et durable de l’espace.
Mamadu Aliou BM Diallo
In Emergence Mag N°12 / Décembre 2020