Analyse critique de la situation économique et monétaire du pays en 2025
La Guinée enregistre un taux de croissance du PIB de 7,4%, principalement porté par le dynamisme du secteur minier. Ce chiffre cache cependant une réalité contrastée : la croissance demeure peu inclusive, avec des retombées limitées sur le bien-être des populations. Le secteur minier, dominé par la bauxite (dont la production a dépassé 100 millions de tonnes en 2023), représente plus de 90 % des exportations, mais n’a pas permis de stimuler suffisamment le développement des autres secteurs économiques, comme l’agriculture ou les services (Banque mondiale, 2024).
La mobilisation des ressources internes reste l’un des principaux points faibles de l’économie guinéenne. Le taux de pression fiscale est resté inférieur à 11 %, bien en deçà de la moyenne régionale (OCDE/Afrique, 2023). Cette faiblesse structurelle découle de la prépondérance de l’économie informelle, estimée à 60 % du PIB, de la faible bancarisation (moins de 16 % selon la BCRG, 2023), et d’un appareil fiscal encore peu digitalisé. Résultat : l’État ne dispose pas de moyens suffisants pour financer ses politiques sociales et économiques de manière autonome.
Ce manque de ressources internes est aggravé par un déséquilibre croissant de la trésorerie publique, qui a conduit à un déficit budgétaire de 1,6 % du PIB en 2023, projeté à 3 % en 2024 (Ministère du Budget). Dans le même temps, la dette publique s’est établie à 42,4 % du PIB, dont plus de 20 % du PIB en dette intérieure, principalement contractée auprès des banques locales (Direction nationale de la Dette, 2024).
C’est dans ce contexte que la crise de liquidité dans le système bancaire guinéen s’est installée et s’est fortement aggravée depuis le second semestre 2023. Plusieurs banques commerciales ont été contraintes de limiter les retraits, voire de suspendre temporairement certains guichets en raison de la rareté des liquidités disponibles. Cette situation découle de plusieurs facteurs combinés.
D’abord, les créances de l’État envers les banques, non remboursées à temps, ont bloqué d’importantes sommes sur les bilans bancaires, réduisant la capacité de ces institutions à accorder de nouveaux crédits. Ensuite, la faible collecte de dépôts – conséquence de la sous-bancarisation et de la défiance des ménages – restreint considérablement les fonds disponibles pour le crédit. Par ailleurs, la création monétaire excessive, via les avances de la BCRG au Trésor, a déstabilisé les équilibres monétaires. Le rapport annuel de la BCRG 2023 souligne une croissance de la masse monétaire sans contrepartie productive suffisante, ce qui a contribué à assécher les canaux de financement formels.
Les conséquences sont multiples et graves. Le crédit à l’économie s’est contracté, asphyxiant les PME qui représentent pourtant plus de 90 % du tissu économique. Les particuliers perdent confiance dans le système bancaire, préférant la thésaurisation. Ce retrait massif du liquide crée un cercle vicieux : moins de dépôts signifie moins de crédits, donc moins de croissance, et plus de défiance. À moyen terme, cela expose le pays à un risque systémique bancaire, avec des répercussions majeures sur la stabilité financière nationale.
Dans le même temps, la Banque Centrale a maintenu un taux directeur de 11 % et a abaissé les réserves obligatoires de 15 % à 13 %, pour tenter de libérer des liquidités en faveur des banques commerciales (BCRG, 2023). Mais ces mesures, en l’absence de reprise de la confiance et de remboursement de la dette intérieure, restent insuffisantes pour rétablir la fluidité du système.
Pour corriger ce déséquilibre, plusieurs réformes sont urgentes : recapitalisation ciblée des banques les plus exposées, remboursement progressif de la dette intérieure, digitalisation accrue des services financiers, incitation à l’épargne nationale, et modernisation de la fiscalité pour accroître la bancarisation et l’inclusion financière. Ces mesures devront être accompagnées d’une discipline budgétaire rigoureuse et d’une meilleure transparence dans la gestion des ressources publiques.
Enfin, la réussite de projets structurants comme Simandou pourra redynamiser la confiance si la gouvernance est assurée, les emplois créés et les recettes fiscales effectivement perçues. Mais pour cela, la Guinée doit d’abord stabiliser son système monétaire et bancaire, car aucun développement durable n’est possible dans un climat de défiance financière.
Abdoulaye keita