Si les États-Unis ont grandement armé Kiev face à l’invasion russe, leur carnet de commandes à l’export en bénéficie également.
Les tensions internationales sont excellentes pour les industries d’armement. Mais les guerres sont d’incomparables pourvoyeuses de commandes. Celle d’Ukraine ne fait pas exception à la règle. Non seulement les armes sont livrées en abondance à Kiev, mais les pays anxieux, désireux de renforcer leur défense, se précipitent également chez les fournisseurs, habituels ou pas. À ce jeu, les États-Unis écrasent la concurrence : en 2022, leurs ventes d’armes ont augmenté de moitié !
En 2021, les États-Unis avaient vendu à l’exportation pour 34,8 milliards de dollars d’armes de tous types, conservant leur éternelle place de premier exportateur mondial. Cette année-là avait été exceptionnelle pour la France, sur la troisième marche du podium avec 11,7 milliards d’euros de prises de commandes. Les ventes de Rafale neufs avaient été excellentes à l’Égypte (30) et à la Grèce (12 Rafale neufs) en sus des appareils d’occasion prélevés sur le parc de l’Armée de l’air et de l’espace (6 à la Grèce et 12 à la Croatie). Par ailleurs, 52 systèmes d’artillerie Caesar avaient été vendus à la République tchèque et 10 hélicoptères H145M à la Serbie. Pour ne parler que des gros contrats.
Les États-Unis explosent tous les compteurs
S’agissant de 2022, ces prises de commandes pourraient être encore plus importantes. Mais depuis que la guerre en Ukraine a éclaté voici près d’un an, ce sont les États-Unis qui ont explosé tous les compteurs. Ils ont certes livré 27,5 milliards de dollars d’armement à l’Ukraine depuis le début de la présidence de Joe Biden, ce qui en fait les premiers fournisseurs, et de très loin, de cette nation en guerre. Mais durant cette première année d’invasion russe, leurs prises de commandes à l’exportation par leurs clients habituels, en premier lieu les Européens, se sont envolées : 17,1 milliards de dollars supplémentaires, en augmentation de 49 % sur l’année précédente. Ce n’est pas fini, ils seront suivis de nombreux autres. Car même en urgence, il faut des mois pour négocier des ventes de ces types de matériels…
Dans un contexte marqué depuis des années par l’aggravation des tensions internationales, la guerre en Ukraine est venue augmenter les craintes qui existaient déjà, notamment dans la région Asie-Pacifique autour de la mer de Chine et de Taïwan ; en Europe autour de la Russie ; ainsi qu’en Méditerranée orientale entre la Grèce et la Turquie. Cela se traduit par des commandes à l’industrie américaine sur tous types d’équipements.
Le catalogue est impressionnant, et s’illustre par un énorme contrat de 13,9 milliards de dollars avec l’Indonésie pour 36 chasseur-bombardiers F-15EX de Boeing, qui ne seront pas livrés avant 2027. En 2022 toujours, Taïwan a passé commande pour son armée de l’air de 100 missiles air-air AIM-9X-Sidewinder, ainsi que plusieurs dizaines de missiles antinavire Harpoon. Ces deux commandes font partie d’un très important contrat passé en 2017.
Arabie saoudite, Koweït, Émirats…
En 2022, plusieurs pays européens, qui disposaient sur le continent de modèles tout aussi performants que ceux des États-Unis, ont préféré passer de très grosses commandes chez l’Oncle Sam. La Grèce a acquis six frégates Multi-Mission Surface Combatant (MMSC) pour 6 milliards de dollars. Pour la même somme, la Pologne a commandé 250 chars dernier cri Abrams M1A2 SEPV3 à General Dynamics, dont elle attend désormais la livraison avec impatience. En juillet, l’Allemagne a annoncé l’achat de 35 F-35 à Lockheed Martin pour 8 milliards de dollars, financés par le gros coup de pouce au budget militaire de son pays par le chancelier Olaf Scholz, dans les jours ayant suivi l’invasion russe en Ukraine.
Les géants pétroliers du golfe Arabo-Persique ont poursuivi en 2022 leurs emplettes, à dire vrai incessantes, à Washington. L’Arabie saoudite a acheté 300 missiles sol-air Patriot et le Koweït de missiles sol-air SASMS pour 3 milliards de dollars, tandis que les Émirats se sont dotés du système de défense antibalistique Terminal High Altitude Area Defense (THAAD). Et la France n’est pas en reste, qui s’y prend bien à l’avance pour commander (pour 1,3 milliard) les catapultes et les mécanismes de brins d’arrêt de son futur porte-avions successeur du Charles de Gaulle, les révolutionnaires Electromagnetic Aircraft Launch System (Emals) et Advanced Arresting Gear (AAG).
Mais elle avait une bonne excuse sur ces matériels : ils auraient été hors de prix de concevoir de tels équipements en France. Bien que le futur fleuron de la flotte française n’existe encore que dans les ordinateurs de la Direction générale de l’armement et de Naval Group, et que sa commande effective n’ait pas encore été passée, l’achat de ses équipements a donc commencé.
Solidarité stratégique
Un pays n’achète pas seulement des armes pour faire la guerre. En se fournissant dans l’industrie d’un pays puissant, on achète également sa solidarité stratégique et un parapluie bien concret. Entre un fournisseur et un client, les liens se renforcent lorsque les tensions montent, ne serait-ce que pour soutenir et entretenir le matériel vendu. Les avions de combat et de transport modernes, dont la durée de vie dépasse couramment le demi-siècle, et plus encore, sont tout particulièrement concernés. Quand l’Indonésie a renoncé au Rafale français et au SU-35 russe, pour leur préférer le F-15, c’est qu’elle pensait, entre autres arguments, que la solidarité stratégique était à ce prix.
Dans les années 2010, la France était dans les choux sur les grands contrats militaires . La série noire a été interrompue grâce aux succès exceptionnels du Rafale, pour l’essentiel dans des pays clients de Dassault depuis des décennies, et aussi parce que les années Obama avaient été marquées par le sentiment de nombreux pays que les États-Unis se désintéressaient de la sécurité de leurs alliés. Ces temps sont désormais révolus et les angoisses à la suite de l’agression de l’Ukraine ont été apaisées par les livraisons massives et spectaculaires venues d’outre-Atlantique. Elles sont du pain bénit pour les carnets de commandes de l’appareil militaro-industriel américain. Et ce n’est qu’un début…
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