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En Egypte, les rêves de grandeur du maréchal Sissi anéantis par les revers d’une économie en faillite.

Après des années de dépenses sans compter, la guerre en Ukraine a précipité l’effondrement économique du pays. Le FMI, encouragé par Riyad et Abou Dhabi, réclame une cure d’austérité et un changement de modèle.

Les rêves de grandeur d’Abdel Fattah Al-Sissi s’effondrent. La politique des mégaprojets que le raïs égyptien a promue depuis son accession au pouvoir, en 2013, pour parer l’Egypte d’une modernité aux allures de monarchie du Golfe – de la construction d’une nouvelle capitale high tech au Grand Musée égyptien du Caire – a montré ses limites.

L’ère de la dépense sans compter, permise par les largesses des parrains de ce même Golfe et le creusement de la dette publique, est révolue. La guerre en Ukraine a précipité l’effondrement de l’économie égyptienne. Le Fonds monétaire international (FMI), encouragé par Riyad et Abou Dhabi, réclame une cure d’austérité et un changement de modèle économique en profondeur. Selon l’institution financière internationale, l’heure est venue de sortir du dirigisme d’Etat sur lequel l’armée a construit un empire économique, pour faire revenir les investissements étrangers et redonner sa place au secteur privé, en berne.

Le Caire n’a plus le loisir de tergiverser. Alors qu’elle se remettait timidement des effets de la pandémie de Covid-19, au printemps 2022, l’Egypte a vu s’évanouir 23 milliards de dollars (21,4 milliards d’euros) de capitaux étrangers de son économie, conséquence de l’onde de choc mondiale provoquée par la guerre en Ukraine. A court de liquidités, elle se trouve désormais face à une obligation : rembourser une dette estimée à 93 % de son produit intérieur brut (PIB).

Les faiblesses de cette économie émergente étaient censées avoir été corrigées grâce au plan conçu avec le FMI après une première crise en 2016. Elles sont réapparues, béantes. Cette fois, le FMI et les parrains du Golfe ont tiré les leçons et exigent du Caire qu’il réduise le contrôle de l’Etat et de l’armée sur l’économie.

Retour à la case départ

Le FMI a concédé, en décembre 2022, un nouveau prêt de 3 milliards de dollars, faisant de l’Egypte l’un de ses principaux débiteurs. « C’est un petit prêt, fait pour gagner du temps, tester la volonté réformiste du régime et voir si le Golfe se décide à investir », analyse Ishac Diwan, professeur à l’Ecole d’économie de Paris. L’institution financière compte sur les investisseurs du Golfe pour combler le déficit de financement extérieur, estimé à 17 milliards de dollars pour les quatre ans à venir.

Au début de la crise, les bailleurs du Golfe avaient volé au secours du Caire, avec un montant total de 23 milliards de dollars de dépôts à la banque centrale et des investissements. Mais, à la différence de 2016, où Riyad et Abou Dhabi avaient signé un chèque en blanc au président Sissi pour stabiliser son pouvoir, ils posent aujourd’hui leurs conditions.

« Le Golfe porte un intérêt géopolitique à l’Egypte, mais son engagement à soutenir le pays commence à devenir un fardeau. Il veut rationaliser ses investissements en rendant [le pays] plus productif », explique Amr Adly, politologue à l’université américaine du Caire. Anticipant la fin de la manne pétrolière, les puissances du Golfe donnent la priorité à leur économie. Et leur soutien direct au régime égyptien commence à ressembler à un investissement à perte. Ports, énergies, banques ou immobilier : investir dans les secteurs lucratifs de ce vaste marché de 104 millions d’habitants, bien positionné à l’export vers l’Afrique et le Moyen-Orient, leur semble une option bien plus alléchante.

« Frustration grandissante des Saoudiens et des Emiratis »

Certains s’interrogent, en Egypte, sur les implications potentielles d’une plus grande présence des monarchies du Golfe dans l’économie. « D’ailleurs, doit-on parler de privatisation si ce sont les fonds souverains golfiens qui investissent ? », s’interroge Timothy Kaldas, directeur adjoint du Tahrir Institute for Middle East Policy. L’inquiétude cède le pas à des protestations aux accents nationalistes, comme lorsque a été proposée, dans une loi en discussion au Parlement, la cession de parts dans des activités liées au très stratégique canal de Suez.

Les autorités ont déjà mis en place des mesures de rigueur fiscale pour apaiser les bailleurs internationaux. La livre égyptienne a été dévaluée face au dollar. La perte de 50 % de sa valeur en un an a poussé l’inflation à des niveaux record (+ 31,9 % en février, à l’approche du mois du ramadan), avec des effets dévastateurs pour les ménages égyptiens et le secteur productif, dépendant des importations. Le risque de défaut sur la dette souveraine est toujours pris au sérieux. « Pour le moment, le gouvernement égyptien est en mesure de le gérer grâce à la rigueur fiscale, au plan de remboursement bien étalé et au soutien du FMI », estime James Swanston, économiste à Capital Economics.

Le plan de privatisation des entreprises publiques, l’un des volets du plan de réforme auquel s’est engagé le gouvernement auprès du FMI, est attendu. Les grandes lignes dessinées en mai 2022 semblaient toutefois familières, tant les promesses de libéralisation n’ont pas manqué ces dernières années. Le plan, adoubé par le président Sissi, prévoit que l’Etat sorte de 79 secteurs et réduise sa présence dans 45 autres pour se recentrer sur douze secteurs. Sa première phase, dévoilée en février, prévoit la cession d’ici un an, de parts dans 32 entreprises publiques (dont deux militaires) : banques, compagnies d’assurances, hôtels… Mais la litanie d’annonces et de contre-annonces sur les modalités de cession décontenance les investisseurs potentiels. « Les investisseurs sont prudents. Ils attendent de voir si, cette fois, les promesses de réforme seront suivies d’effet et si les militaires, qui se sont accaparés d’actifs de l’Etat, vont opposer une résistance », indique James Swanston.

Le sentiment domine que l’Etat et l’armée sont plus intéressés à recapitaliser leurs sociétés grâce aux investissements étrangers qu’à mener à bien la privatisation de l’économie. « Les Saoudiens et les Emiratis expriment une frustration de plus en plus grande quant au sérieux du régime à engager les réformes indispensables », note Timothy Kaldas.

Le maréchal Sissi face à une équation complexe

La phase de grandes annonces spectaculaires d’investissements par milliards de dollars est terminée. Certaines négociations en cours semblent suspendues, comme celle entre le fonds souverain saoudien, le Public Investment Fund et la United Bank, une banque égyptienne, ou entre son homologue qatari, la Qatar Investment Authority, et la société de téléphonie Vodafone Egypt. « Ça ne se passe pas très bien, car les Egyptiens veulent estimer la valeur des actifs en dollars tandis que les investisseurs du Golfe veulent acheter en livres égyptiennes », explique l’analyste politique Maged Mandour.

Au sommet de l’Etat égyptien, le consensus semble loin d’être acquis sur l’étendue et le calendrier des privatisations. Dans les médias et au Parlement, des voix critiques s’élèvent contre le gouvernement. « Le feu vert a, sans nul doute, été donné par un soutien haut placé dans l’Etat, et peut-être à l’étranger », estime Timothy Kaldas. « On comprend qu’au sein du secteur public les négociations vont bon train sur qui va porter le poids des réformes », poursuit Amr Adly. La position du président Sissi est l’objet de spéculations.

A son arrivée au pouvoir, le maréchal a mis les milieux d’affaires au pas, les soumettant au bon vouloir des militaires, qui ont pris les rênes des grands travaux.

Mais, depuis 2018, M. Sissi fait pression pour que les entreprises militaires s’ouvrent aux investissements privés.

« Nous avons besoin de vous [le secteur privé], car, depuis quarante ans, nous [l’Etat] nous sommes montrés incompétents dans la gestion de nos projets », avait-il reconnu en décembre 2021. Le président égyptien est face à une situation complexe : comment satisfaire le FMI et ses parrains du Golfe sans perdre le soutien des militaires ? « Sissi n’a ni parti ni base populaire, il ne peut pas se permettre une confrontation avec l’armée. Je ne suis même pas certain qu’il en ait l’ambition », estime Maged Mandour. S’il choisit l’austérité sans les réformes, le pays risque de s’enfoncer dans une crise durable. « Que l’Egypte soit “too big to fail” [“trop importante pour échouer”] ne veut pas dire que les souffrances lui seront épargnées », avertit Timothy Kaldas.

Déjà saignés à blanc par la crise de 2016, les Egyptiens subissent les effets de l’inflation galopante. Près de la moitié de la population vit près du seuil de pauvreté ou en dessous. La répression empêche encore toute contestation de s’exprimer. Mais le président Sissi montre des signes d’inquiétude et agite la menace d’une résurgence djihadiste en cas de déstabilisation du pays. Dans une référence à la révolution de 2011, il a averti, le 9 mars : « Prenez garde, Egyptiens, de ne pas causer une fois de plus la ruine de votre pays ! »

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