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En Côte d’Ivoire, la filière cacao passe à la vitesse supérieure

« Made in Côte d’Ivoire » (1/3). Le gouvernement, qui souhaite que 100 % de la production du pays soit transformée localement à l’horizon 2030, a annoncé l’installation de trois nouvelles usines sur le modèle de celle du français Cémoi.

Sur la route de Yopougon, on sent la chocolaterie Cémoi avant même de la voir. Un arôme puissant embaume la zone industrielle à l’ouest d’Abidjan, plus entêtant à mesure qu’on approche l’unité de 2 000 m2. Les sacs de 65 kg acheminés par poids lourds y sont pesés et stockés, puis les fèves de cacao triées et nettoyées avant d’être transformées en masse, beurre et poudre de cacao. Ces produits semi-finis seront soit exportés tels quels, soit transformés en tablettes de chocolat, poudres cacaotées et pâtes à tartiner. L’usine, en activité depuis 2015, dispose d’une capacité de production de 10 000 tonnes par an. Une entreprise unique en son genre, puisqu’elle est pour le moment la seule en Côte d’Ivoire à assurer l’intégralité de la transformation du cacao, de la fève au chocolat.

Rares sont les chocolateries « made in Côte d’Ivoire » à s’être fait une place sur le marché. Les amateurs peuvent toujours se tourner vers le médiatique Chocolatier ivoirien ou l’écolo Mon Choco, mais leurs prix, prohibitifs, les cantonnent pour l’instant à un marché de niche. Il faut compter 5,20 euros pour une tablette Mon Choco de 90 g et 8,40 euros pour une tablette du Chocolatier ivoirien de 100 g, dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti est de 115 euros. Le chocolat reste l’apanage d’une clientèle fortunée, au point qu’en nouchi (l’argot franco-ivoirien), on utilise « chocolaté » ou son abréviation « choco » pour signifier « chic, bourgeois ».

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La Côte d’Ivoire a beau être le premier producteur mondial de cacao, la moitié des fèves récoltées sur le territoire sont exportées brutes et la quasi-totalité du reste sous forme de produits semi-transformés. Le manque à gagner pour la filière est d’autant plus important que la création de valeur ajoutée intervient surtout en bout de chaîne.

Un secteur réputé opaque

Pour structurer le secteur, l’ancien président Laurent Gbagbo avait créé en 2001 la Bourse du café et du cacao, une instance chargée de centraliser, d’encadrer et de suivre toutes les opérations liées au café et au cacao en Côte d’Ivoire. C’est elle qui avait lancé le Chocolat du planteur, un produit destiné au marché européen, représenté pendant la Coupe d’Afrique des nations 2006 par le footballeur star Didier Drogba. Mais la marque – dont les chocolats étaient fabriqués… en Suisse, par Barry Callebaut – a périclité.

Gangrenée par des scandales de corruption à répétition, la filière traîne encore la réputation d’être opaque et peu profitable aux cultivateurs. Mais les autorités n’ont pas renoncé à accélérer la montée en gamme du secteur. Fin janvier, le gouvernement a annoncé l’installation de trois nouvelles usines de transformation de cacao, avec pour ambition d’assurer 100 % de la première transformation de sa production annuelle à l’horizon 2030.

« Ce n’est pas irréalisable, juge Bema Coulibaly, directeur des affaires économiques à l’Organisation interafricaine du café (OIAC). Mais le gouvernement devra relever plusieurs défis. Les structures de transformation sont toujours insuffisantes en Côte d’Ivoire, la technicité aussi. Il faut que s’opère un vrai transfert de technologie vers les opérateurs locaux pour qu’ils puissent se mettre à leur tour à commercialiser des produits plus élaborés : le chocolat, le cacao en poudre ou d’autres produits secondaires innovants, comme les nibs [fèves concassées] ou les infusions. »

Les banques sont encore réticentes à accorder des prêts aux petits transformateurs locaux, alors que les gros exportateurs ont déjà fait leurs preuves en matière de rentabilité et de traçabilité. Sans compter que la production du cacao est saisonnière, aussi faut-il que les petits opérateurs soient en moyen de stocker les sacs de fèves pour produire en flux tendu. Tâche encore compliquée par le changement climatique, qui bouleverse le cycle des saisons dans le golfe de Guinée.