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Coton : les producteurs guinéens veulent d’urgentes réformes

Le projet de la relance de la production de coton en Guinée, annoncé avec fanfare en 2011 suite à la signature d’un accord entre l’Etat et Geocoton se retrouve grippé. Dix ans après le deal avec la société française, la capacité de production annoncée n’a  jamais été atteinte. Abandonnés et ruinés par un projet qui apparait désormais à leurs yeux comme un « éléphant blanc », les producteurs croisent les doigts et attendent une dernière réaction salvatrice du  président de la République. Détails sur un projet porteur de croissance menacé de faillite.

Septembre 2011. Le gouvernement guinéen paraphe un accord avec Geocoton de France pour relancer la production de coton. L’information est accueillie avec ferveur. Les producteurs apprennent que le gouvernement va injecter 17 milliards de francs guinéens dans l’achat des fertilisants pour booster la production. L’entreprise se propose de trouver le financement nécessaire à la relance d’un secteur cotonnier pour lequel la Guinée dispose d’un potentiel énorme, à même de rivaliser le Mali et le Burkina Faso.

L’initiative est soutenue au plus sommet de l’Etat. Le président Alpha Condé qui en fait une affaire personnelle annonce en mars 2012 un objectif de 20 000 hectares devant être cultivés. Et que le partenaire de la Guinée dans le projet, Geocoton va se charger de la distribution de semences aux producteurs.

Pour les besoins de la cause, le Projet de Développement de la Filière Cotonnière en Guinée est créé. Le PDFCG est mis en place avec une mission très claire : relancer la filière coton et créer une véritable chaîne de valeur pour permettre aux planteurs de tirer un meilleur profit de leurs cultures.

Financé par le Budget national de développement depuis sa création, ce projet qui devait intervenir les préfectures de la Haute Guinée à l’exception de Kérouané et dans certaines villes de la Moyenne Guinée à savoir Gaoual, Koundara et Mali, ce projet aura brillé beaucoup plus par des scandales liés aux trafics de coton et d’engrais, de gestions opaques et d’incendie d’origine douteuse que par la création d’un environnement propice à la coton culture.

Conséquence de cette gestion calamiteuse, le nombre de producteurs de coton a dégringolé. De 17 494 producteurs en 2015, la Fédération des unions des producteurs de coton et vivriers ne compte plus que 2 450 membres en 2020. Aussi, l’objectif initial de porter la production à 25 000 tonnes par an nécessaires à la création d’une société cotonnière viable n’a jamais été atteint.

Dans un mémorandum adressé au président de la République, cette Fédération justifie la chute drastique du nombre de producteurs par « l’incertitude qui plane sur l’évolution du financement et la gestion de la filière ces dernières années ».

En outre, elle ne manque pas d’égrainer d’autres tares qui entravent le bon décollage de la filière. Dans ce lot, la Fédération cite le retard dans l’évacuation  du coton des zones de production vers l’usine d’égrenage, le paiement tardif des revenus des producteurs et le retard accusé dans la mise en place des intrants agricoles au niveau des producteurs.

Alors que le prix du sac d’engrais est passé de 135 000 à 200 000 francs guinéens, le prix de vente de la tonne de coton a été fixé à 4 millions GNF, soit 4000 francs guinéens le kilogramme. Ce qui est nettement en dessous des 280 F CFA (4 950 GNF) pratiqué au Mali et 270 FCFA (4 790 GNF) au Burkina Faso.

Pistes de solutions

L’absence de politique coordonnée et mieux financée a entrainé la diminution des superficies cultivées par rapport aux prévisions. Ce qui, par ricochet, a entrainé une baisse notoire des rendements du fait de la démotivation des producteurs.

Pour redynamiser le secteur et sauver la filière, la Fédération des unions des producteurs de coton et vivriers préconise le respect du calendrier de lancement des campagnes de coton culture généralement prévue chaque décembre. Ses membres qui croient dans l’avenir du secteur sollicitent du président de la République, une implication personnelle en vue d’entrer en possession des stocks d’engrais pour la campagne 2021-2022. « Pour une question d’efficience et d’efficacité, l’évacuation du coton graine vers l’usine peut être mise à profit pour acheminer les intrants dans les zones de production », soulignent-ils dans leur mémo.

La relance de la filière devra nécessaire passer aussi par la construction de zones de stockage. Une source contactée au cours de notre reportage a révélé que plus de  800 tonnes de fibre de coton d’une valeur de  12 milliards de francs guinéens ont été perdues faute de magasins.

La FUPROCOV, l’acronyme de la fédération, suggère la création d’un fonds destinés à payer les producteurs une que leur coton passe au pont bascule de l’usine de Kankan en vue d’encourager leurs efforts. Par ailleurs, dit-elle, la baisse du prix des engrais apparait comme une mesure judicieuse, à même d’encourager les producteur. Enfin, et c’est la réforme la plus attendue, les producteurs appellent à la création d’une société cotonnière entre eux, l’Etat et banques privées du pays. « Ce partenariat peut être une alternative crédible en attendant que le niveau de production attire des investisseurs privés fiables », concluent-ils.

Samuel Camara (In Emergence Mag N°15)