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Artus – Les Banques centrales doivent-elles juguler l’inflation ?

CHRONIQUE. Passer à un objectif d’inflation plus élevé ou accepter une récession et, peut-être, une crise financière : Fed et BCE sont dans l’impasse.

Avec la forte hausse de la demande de biens qui a suivi la crise du Covid, et avec les problèmes d’approvisionnement en énergie, en métaux, en produits agricoles qui résultent de la guerre en Ukraine, l’inflation va atteindre un niveau très élevé. Le pic de l’inflation pourrait dépasser, en 2022, 9 % aux États-Unis et au Royaume-Uni, 8 % dans la zone euro.

Une partie de cette inflation va disparaître quand les prix des matières premières vont se stabiliser, même à un niveau élevé ; mais une partie va persister, parce que les salaires, même mal indexés sur les prix, accélèrent ; parce que les entreprises qui ont du pricing power (la capacité à augmenter leurs prix) passent des hausses importantes de prix ; on voit même une hausse des marges bénéficiaires des entreprises aux États-Unis. De plus, les prix des matières premières vont rester élevés, puisque les sanctions contre la Russie seront durables, et puisque la transition énergétique va faire monter les prix de l’énergie ainsi que des métaux.

Le prix à payer

On pensait, avant le conflit ukrainien , que l’inflation reviendrait, à la fin de 2022 et en 2023, autour de 2 % dans la zone euro et au Royaume-Uni, et autour de 3 % aux États-Unis. Aujourd’hui, on voit qu’à ces dates, l’inflation sera spontanément beaucoup plus élevée – au moins 3 % en Europe et 4 % aux États-Unis. Cela pose clairement la question de la réaction des Banques centrales.

Quand on regarde ce qui a été annoncé par la Réserve fédérale et la Banque centrale européenne, on voit une hausse des taux d’intérêt des Banques centrales qui reste très modeste par rapport à l’inflation. Aux États-Unis, le taux d’intérêt de la Fed irait à 3,5 % à la fin de 2023 ; dans la zone euro, celui de la BCE à plus de 1¾ % à la fin de 2023.

Ce niveau des taux d’intérêt est beaucoup trop bas pour que ces politiques monétaires puissent avoir un effet significatif sur l’inflation. Avec un pic d’inflation à 8 ou 9 %, il faudrait des taux d’intérêt au niveau de ce pic d’inflation pour réellement lutter contre l’inflation. Rappelons-nous le choc pétrolier du début des années 1980 : P. Volcker avait fait disparaître en deux ans l’inflation aux États-Unis, mais au prix d’une hausse jusqu’à 20 % du taux d’intérêt de la Réserve fédérale, et, en conséquence, de deux années de récession.

On voit donc le choix très difficile auquel les Banques centrales sont confrontées aujourd’hui.

Dilemme

Soit les Banques centrales « font semblant » de lutter contre l’inflation, en mettant en place des hausses seulement modestes des taux d’intérêt, et l’inflation va rester forte. On peut imaginer que, dans cette situation, il y aurait toujours au moins 4 % d’inflation en 2023 aux États-Unis et au moins 3 % dans la zone euro, d’autant plus que les salariés vont demander des hausses de salaire plus fortes pour compenser l’inflation et la perte de leur pouvoir d’achat subie en 2023 (la tendance à la hausse des salaires en 2022 est de 5 % aux États-Unis et de 3 % dans la zone euro, bien inférieure à l’inflation).

Soit elles décident vraiment de lutter contre l’inflation, et elles montent fortement les taux d’intérêt (à 6 %, 8 %, ou même plus) : les économies entrent en récession, certains États (Italie, par exemple) sont en difficulté avec leur dette, les prix de l’immobilier et les cours boursiers chutent. L’effet sur l’économie réelle d’une forte hausse des taux d’intérêt serait encore plus négatif que dans les années 1980 puisque les taux d’endettement sont beaucoup plus importants aujourd’hui que dans les années 1980 et que les prix des actifs sont beaucoup plus élevés, donc les effets de richesse beaucoup plus puissants.

Comment sortir de ce dilemme : renoncer à lutter contre l’inflation ou accepter une récession et, peut-être, une crise financière ?

Deux solutions

Une première possibilité serait de lutter contre l’inflation par la hausse des impôts et pas par la hausse des taux d’intérêt ; mais la hausse des impôts pousserait aussi les économies en récession.

Une deuxième possibilité serait que les Banques centrales augmentent leur objectif d’inflation (de 2 % à 3 ou 4 %). Cela leur permettrait d’accepter sans réagir une inflation de 3 à 4 % en 2023. Cette remontée de l’objectif d’inflation des Banques centrales a été proposée dans le passé, mais avec un autre motif : si, en fin de période de croissance, l’inflation était plus forte, les taux d’intérêt nominaux seraient plus élevés et il serait possible de beacoup les baisser pour faire face à une récession. Ici, l’idée serait différente : permettre d’éviter une remontée forte des taux d’intérêt catastrophique pour les économies et les finances publiques.

* Patrick Artus est conseiller économique de Natixis.