[TRIBUNE] Gestion publique en Guinée : accentuer les réformes sur la transparence et la reddition des comptes (Par Lancine Doumbouya)

La Guinée, riche en ressources naturelles, a longtemps été confrontée à des défis majeurs en matière de gestion publique, tels que la corruption, le manque de transparence, et la faible responsabilisation des institutions publiques.

Face à ces défis, le gouvernement guinéen a initié des réformes ambitieuses pour moderniser le système de gestion publique, en mettant un accent particulier sur la transparence et la reddition des comptes. Cet article explore en profondeur ces réformes, leurs impacts concrets, et les défis encore à surmonter.

I – CONTEXTE ET NECESSITE DES REFORMES EN GUINEE

Historiquement, la gestion publique en Guinée a été marquée par des pratiques opaques, avec une corruption endémique qui a entravé le développement économique et social du pays. Le manque de transparence dans l’allocation des ressources publiques et la faiblesse des mécanismes de contrôle ont longtemps permis le détournement des fonds publics, affectant négativement les services essentiels comme la santé, l’éducation, et les infrastructures.

En réponse à cette situation, le gouvernement guinéen, sous la pression des institutions internationales et des citoyens, a lancé une série de réformes pour moderniser la gestion publique, renforcer la transparence, et assurer une meilleure reddition des comptes par les institutions publiques.

II – LES REFORMES CLES DU SYSTEME DE GESTION PUBLIQUE

  1. Modernisation des finances publiques : Vers une gestion plus rigoureuse

La modernisation des finances publiques constitue une réforme centrale. Cette initiative vise à instaurer une gestion budgétaire plus rigoureuse et transparente. Un élément clé de cette réforme est l’introduction de la gestion budgétaire par programme. Ce système permet de lier les dépenses publiques à des objectifs spécifiques et mesurables, facilitant ainsi le suivi de l’efficacité des politiques publiques.

Comme exemple concret, nous avons la mise en place du Système Intégré de Gestion des Finances Publiques (SIGFP) qui a permis d’automatiser plusieurs processus budgétaires, réduisant ainsi les risques de fraude. Par exemple, les doublons dans les paiements aux fournisseurs ont diminué de 30 % grâce à une meilleure traçabilité des transactions financières.

  1. Réforme de la passation des marchés publics : Plus de transparence et d’équité

La réforme du cadre juridique des marchés publics vise à garantir que les contrats publics soient attribués de manière transparente et sur des bases objectives. Le processus de passation des marchés a été renforcé par des mesures telles que l’obligation de publication des appels d’offres et des résultats d’attribution sur des plateformes accessibles au public.

Depuis l’introduction de cette réforme, le nombre de marchés attribués de manière non compétitive a chuté de 50 %, et plusieurs contrats douteux ont été annulés à la suite de contrôles plus rigoureux.

  1. Décentralisation de la gestion publique : Rapprocher la gouvernance des citoyens

La décentralisation vise à transférer certaines compétences aux collectivités locales, avec pour objectif de rapprocher la gestion publique des citoyens et d’améliorer l’efficacité des services publics. Cette réforme permet aux gouvernements locaux de gérer directement certains aspects des finances publiques, tout en étant soumis à des mécanismes de contrôle renforcés.

Dans plusieurs régions, les budgets participatifs ont été mis en place, permettant aux citoyens de s’impliquer directement dans les décisions sur l’utilisation des fonds publics. Dans la région de Labé, par exemple, la construction d’écoles et de centres de santé a été priorisée grâce à ce processus participatif, améliorant ainsi l’accès aux services de base pour des milliers de personnes.

III – IMPACT DES REFORMES SUR LA TRANSPARENCE ET LA REDDITION DES COMPTES

  1. Renforcement de la transparence : Des institutions plus ouvertes

Les réformes ont eu un impact significatif sur la transparence en Guinée. L’une des mesures phares est l’obligation pour les ministères et agences publiques de publier régulièrement leurs rapports budgétaires et financiers. De plus, la mise en place de plateformes en ligne permet aux citoyens d’accéder facilement aux informations sur l’exécution budgétaire et les marchés publics.

Le niveau de confiance des citoyens dans la gestion publique a augmenté, avec une hausse de 40 % des consultations des plateformes de transparence budgétaire en ligne, témoignant d’un intérêt croissant pour la surveillance citoyenne des finances publiques.

  1. Amélioration de la reddition des comptes : Un système de contrôle plus strict

La reddition des comptes a été renforcée par l’augmentation des audits indépendants et la création de la Cour des Comptes, une institution chargée de vérifier l’utilisation des fonds publics et de sanctionner les irrégularités. Cette réforme vise à responsabiliser les gestionnaires publics en rendant obligatoire la justification de leurs actions et décisions financières.

Par ailleurs, la Cour des Comptes a récemment révélé des irrégularités dans l’utilisation de fonds publics dans plusieurs ministères, aboutissant à des poursuites judiciaires contre certains hauts fonctionnaires et à la récupération de millions de francs guinéens détournés.

IV – DEFIS PERSISTANTS ET PERSPECTIVES

Malgré ces avancées, plusieurs défis restent à relever pour consolider les gains réalisés. Parmi ces défis, on peut citer :

  1. Résistance au changement

L’une des principales difficultés réside dans la résistance de certains acteurs au changement, notamment ceux qui bénéficiaient de l’ancien système. Cette résistance se manifeste parfois par des tentatives de contournement des nouvelles règles ou par un manque de coopération avec les institutions de contrôle.

Dans certains ministères, l’adoption des nouveaux systèmes de gestion budgétaire a été lente, avec des fonctionnaires réticents à abandonner les pratiques antérieures moins transparentes.

  1. Faibles capacités institutionnelles

La mise en œuvre des réformes nécessite une amélioration des capacités techniques et humaines au sein des institutions publiques. Le manque de formation adéquate et l’insuffisance de ressources pour les organismes de contrôle demeurent des obstacles majeurs à l’efficacité des réformes.

Plusieurs audits ont révélé des lacunes dans la formation des agents chargés de la passation des marchés publics, ce qui a conduit à des erreurs dans la gestion des appels d’offres, affectant la qualité et la transparence des processus.

  1. Corruption persistante

Malgré les efforts pour réduire la corruption, celle-ci reste un problème endémique en Guinée. La corruption, souvent ancrée dans les pratiques institutionnelles, constitue un frein majeur à l’efficacité des réformes.

Des cas de corruption continuent d’être signalés dans l’attribution des marchés publics, malgré les nouvelles mesures de contrôle, montrant que des efforts supplémentaires sont nécessaires pour éradiquer ces pratiques.

Conclusion

Les réformes du système de gestion publique en Guinée représentent une avancée significative vers une meilleure gouvernance, caractérisée par une transparence accrue et une responsabilisation plus forte des institutions publiques. Toutefois, pour que ces réformes produisent des résultats durables, il est crucial de surmonter les défis liés à la résistance au changement, au renforcement des capacités institutionnelles, et à la lutte contre la corruption.

En dépit de ces obstacles, les résultats obtenus jusqu’à présent montrent qu’il est possible de transformer la gestion publique en Guinée en un modèle de transparence et de reddition des comptes. Il est désormais essentiel de maintenir et d’intensifier ces efforts pour assurer un développement harmonieux et durable du pays, répondant aux attentes légitimes de la population guinéenne en matière de bonne gouvernance.

Par Lancine Doumbouya

Ingénieur Système d’Information Audit et Contrôle de Gestion

Fondateur – cogérant de BALIMANA CONSULTING & INVESTMENT SARL

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Bibliographie

Ouvrages

  1. DIDIER BOURMAUD, (2015), La réforme de l’État en Afrique : Entre réinvention et transnationalisation des politiques publiques.
  2. ALIOUNE MBAYE, (2019), Gouvernance et développement en Afrique de l’Ouest : Réformes institutionnelles et économiques, Presses universitaires de Bordeaux.
  3. NICOLAS VAN DE WALLE, (2001), African Economies and the Politics of Permanent Crisis, 1979-1999, Cambridge University Press.

Articles académiques

  1. MAMADOU MOUSSA, (2017), Les réformes des finances publiques en Afrique : Le cas de la Guinée, Revue Africaine de Gestion Publique, 12(2), 45-62.
  2. SORY DIALLO & DJIBRIL FOFANA, (2020), Réformes économiques et institutionnelles en Guinée : Défis et opportunités, Revue Internationale de l’Économie du Développement, 34(3), 85-104.
  3. ALPHA TOURE, (2018), La transparence et la lutte contre la corruption dans la gestion publique en Guinée, Journal Africain de Droit et Politique, 11(1), 22-39.

Rapports officiels

  1. Rapport annuel sur la gestion des finances publiques en Guinée, Conakry : Cour des Comptes, 2022
  2. Réformes de la gouvernance en Guinée : Vers une meilleure gestion des ressources publiques, Washington D.C. : Banque Mondiale, 2021
  3. Gouvernance et transparence en Afrique : Leçons tirées des réformes en Guinée. Paris : OCDE, 2021

Sources en ligne

  1. Transparency International (2021), Indice de perception de la corruption 2021 : Le cas de la Guinée
  2. Ministère de l’Économie et des Finances de Guinée (2023), Plan de Réformes de la Gestion Publique 2023-2025
  3. Banque Africaine de Développement (BAD) (2022), Étude sur la modernisation des systèmes de gestion publique en Guinée