(Ecofin Hebdo) – Sous les feux des projecteurs suite à des soupçons de corruption, d’irrégularités et de prise illégale d’intérêts formulées à son encontre par des sources de l’Agence Ecofin, le ministère guinéen des Mines a réagi. Le contenu de son «droit de réponse» publié récemment dans nos colonnes a toutefois soulevé plusieurs questions que le SG Saadou Nimaga a accepté d’aborder avec nous. Or de Kiniéro, projets de bauxite, mine de fer de Simandou sont autant de points sensibles évoqués lors de cet entretien franc et direct.
1ère partie : la mine d’or Kiniéro
Agence Ecofin : L’abandon de la mine d’or de Kiniéro par la compagnie canadienne est intervenu en 2014. Qu’est-ce qui explique que le gouvernement ait pris autant de temps pour trouver un repreneur ?
Saadou Nimaga : Le départ de la société Semafo de la mine de Kiniéro n’était pas consensuel. L’État devait alors tout d’abord s’assurer que sur le plan juridique, le titre d’exploitation minière était retourné dans son patrimoine avant d’en organiser toute nouvelle attribution. Il devait également s’assurer que les installations et équipements laissés sur place ne feraient plus l’objet de revendication de la part de la compagnie canadienne ou de ses éventuels ayants droit ou que, même si cela devrait se faire, qu’il a une position juridique suffisamment solide.
L’État a lancé d’abord la procédure d’évaluation des actifs et passifs de la société à travers un inventaire des biens et équipements réalisé par le Cabinet FFA en collaboration avec un huissier de justice. Ce rapport lui a permis d’avoir une idée sur ce qu’il faut comme investissement pour gérer le passif et redémarrer la mine. À cet effet, le Ministère des Mines et de la Géologie a élaboré un cahier spécial des charges pour la sélection d’un nouvel opérateur minier capable de reprendre la mine. À travers ce cahier des charges, un décret du Président de la République a ouvert le premier appel d’offres en 2017. Le premier appel d’offres s’est révélé infructueux et le second a vu Sycamore Mining retenue comme adjudicataire.
AE : Justement, ce second appel d’offres pour la mine Kiniéro a vu la participation de grandes compagnies minières comme SWR International et Toro Gold, qui ont fait leurs preuves (tant sur le plan financier que technique) sur d’autres projets sur le continent. Qu’est-ce qui explique la non-sélection de ces compagnies au profit de Sycamore Mining, qui n’a aucun antécédent sur le secteur minier africain ?
SN : Les offres reçues ont été évaluées selon leur contenu et en comparaison avec les critères retenus dans le cahier spécial des charges. S’il est vrai que les antécédents des candidats faisaient partie des critères, ils ne suffisaient pas à eux seuls à qualifier l’offre. D’autres critères tels que le montant des investissements projetés, la disponibilité immédiate du financement, le calendrier de reprise des activités étaient assez importants et déterminants dans le choix du candidat. Il faut noter par ailleurs que bien n’ayant pas d’expérience dans l’exploitation minière en tant que société, Sycamore a présenté une équipe de gestion de projet dont les membres ont des compétences techniques avérées.
AE : Dans votre droit de réponse envoyé à Ecofin suite aux accusations de «prise illégale d’intérêt», il est plusieurs fois question d’offres rejetées faute de disponibilité de financement. Si le choix de Sycamore est motivé par ses capacités financières, qu’en est-il des capacités techniques ?
SN : L’expérience récente de la Guinée nous pousse à croire de moins en moins que les grands noms suffisent à développer les projets. Par exemple, SMB n’était pas un grand acteur dans le domaine de la bauxite en Afrique, mais a su redynamiser le secteur de la bauxite en Guinée. Alufer n’avait pas non plus de mine de bauxite ailleurs. Son projet de Bel Air est aujourd’hui en exploitation.
De très grands noms dans l’industrie minière aux capacités techniques mondialement reconnues tournent autour de gros gisements en Guinée depuis des décennies et n’y arrivent pas.
Il n’est pas illogique de croire que les compétences techniques s’acquièrent et s’achètent de nos jours par toute organisation ayant une forte volonté de développer un projet et disposant des ressources financières pour le faire. Sycamore a présenté dans son offre une équipe expérimentée dans le domaine minier dont les membres ont travaillé avec les grands groupes miniers à travers le monde (BHP Billiton, Rio Tinto, Goldfield, …).
AE : Nous avons eu copie d’une lettre d’Emedi Resources qui faisait une proposition conjointe avec son partenaire financier Sycamore Mining. Cette lettre aurait été envoyée à la fin du premier appel d’offres et avant le deuxième. Dans quel cadre la compagnie de Christian Rampa Luhembwé a-t-elle envoyé cette lettre ?
SN : Après que la première procédure d’appel d’offres, à laquelle Emedi Resources a participé, ait été déclarée infructueuse à cause de la faiblesse des capacités, le fondateur de la société a adressé un courrier au ministère pour informer de son partenariat avec Sycamore pour pallier son manque de capacité financière. Nous ne pouvions que prendre acte de cet état de fait et espérer que ce partenariat leur permettrait de soumettre ensemble une offre plus compétitive au prochain appel d’offres.
Finalement, c’est Sycamore qui a déposé une offre, sans Emedi. Il semble d’ailleurs qu’Emedi aurait également envisagé de soumettre une offre avec SWR. Ceci n’a pas non plus abouti en raison probablement de problèmes internes.
Il faut dire que si Monsieur Christian Rampa avait la meilleure offre, nous aurions apprécié, car il a fait ses preuves à la SAG (la plus grande société aurifère du pays, NDLR). Cependant, la loi est la loi, on n’avait d’autre choix que d’appliquer la règle de la concurrence pour laquelle nous avons nous-mêmes opté.
AE : Quel est le calendrier de réhabilitation du projet Kiniéro convenu avec Sycamore Mining ? Pour quand est prévue la reprise de la production ?
SN : La société Sycamore a présenté un plan de relance de la mine qui se déroulera principalement en trois phases. La première phase, qui durera de 2020 à 2021, porte sur la rénovation et le redémarrage des infrastructures existantes. De 2021 à 2023, la compagnie construira une nouvelle usine dédiée aux sulfureux dans le cadre de la deuxième phase. La dernière phase consistera en l’augmentation de la capacité de production de l’usine de traitement de minerai sulfureux (sous réserve de ressources suffisantes), de 2023 à 2025.
2e partie : la société kazakhe Eurasian Resources
AE : Dans une lettre envoyée au ministre le 6 juin dernier, la compagnie indique avoir été victime de cas de prise illégale d’intérêts pour son projet de construction d’un port à 7 quais. Comment le ministère a-t-il réagi à ce courrier ?
SN : Ce courrier ne nous a pas du tout ébranlés, car nous avons vite compris que l’objectif était de nous faire reculer et de laisser Eurasian écraser les autres titulaires de titres miniers dans la même zone. En effet, la compagnie kazakhe avait signé un accord d’amodiation avec deux sociétés, GBT et AXIS Minerals. Cet accord d’amodiation permettait d’évacuer la production des titres miniers amodiés par le Port de Kokaya qu’Eurasian s’était engagée à construire.
Entretemps, Eurasian dénonce l’accord d’amodiation et prive du coup les titres amodiés de toute possibilité d’évacuation de leur production.
Afin de résoudre ce conflit entre les deux camps, le ministère, dans le but de permettre à chacun d’avoir accès au fleuve, a décidé de diviser la zone portuaire en deux. C’est cette répartition de la zone portuaire, afin de permettre à chaque partie d’évacuer sa production, qu’Eurasian a contestée en voulant à tout prix remettre en cause cette solution et en utilisant des méthodes pas correctes. Logiquement et juridiquement, aucun argument n’est à sa disposition.
AE : Toujours dans la lettre, Eurasian accuse notamment Ahmed Kanté, ancien DG de la Soguipami présenté comme votre propre « mentor » et « propriétaire réel des deux autres sociétés», de retarder le projet pour permettre à ses sociétés de continuer d’opérer illégalement sur la zone octroyée par décret, en utilisant ses données. Qu’en dites-vous ?
SN : Quelle valeur doit-on accorder à ces déclarations et accusations fantaisistes et sans preuve ? C’est du chantage et des manœuvres dilatoires auxquels nous n’avons pas cédé. Le ministre des Mines et de la Géologie, Monsieur Abdoulaye Magassouba, ayant parfaitement compris le jeu, a d’ailleurs vigoureusement réagi à toutes ces tentatives de cette société. En effet, l’État ne peut pas accorder des titres miniers à des opérateurs et s’empêcher de les assister à trouver des solutions d’évacuation de leur minerai pendant que d’autres monopolisent les espaces côtiers existants sans avancer dans leur projet.
À propos de son retard, Eurasian sait mieux que quiconque que la cause est dans ses conflits et contradictions internes et non du fait de l’État. Vous comprenez donc qu’il s’agissait des accusations non fondées. En fait, l’équipe dirigeante de la société a cru qu’en tentant de saper notre réputation, nous aurions eu peur et que nous allions abandonner le dossier de partage équitable de la zone portuaire de Kokaya, correspondant à la conclusion de la commission interministérielle mise en place à cet effet. Je vous informe que je ne suis pas membre de cette commission interministérielle, par conséquent, je ne fais que faire la mise en œuvre des conclusions de ladite commission sur le dossier qui leur est soumis pour examen.
Si nous avions cédé au chantage d’Eurasian à l’époque, cela aurait supposé que les activités des deux autres sociétés (GBT-Axis Minerals) seraient arrêtées avec toutes les conséquences liées à la perte d’emplois déjà crées, l’arrêt des investissements et l’arrêt de l’impact économique et social. Il s’agissait de mensonges grossiers volontairement distillés pour nous discréditer avec pour objectif de ternir notre image et, ce faisant, nous pousser à abandonner le partage de la zone portuaire en cours.
Ceux qui connaissent le secteur minier guinéen savent que sur le plan de la moralisation et de la lutte contre la corruption, il y a eu d’énormes progrès. S’il y a eu des résultats en termes de procédures d’octroi de titres miniers, si la production de bauxite a connu un bond extraordinaire en termes de quantité, si le nombre de sociétés aurifères en phase de développement avancé a évolué considérablement, ce n’est pas un hasard. C’est le fruit d’âpres efforts qui commencent par la renonciation à des intérêts personnels. Croyez ou pas, il est impossible d’être intéressé et d’avoir les résultats que nous avons atteints. On ne peut pas faire des réformes, avoir des résultats en étant acteur et en conflit d’intérêts dans des projets. Quand on choisit d’être agent public, cela demande des sacrifices et une conduite à tenir.
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