Pourquoi la Guinée doit fixer un prix de référence pour la bauxite (Par Mohamed CAMARA)

Concernant la fixation du prix de référence de la bauxite, le Président de la Transition a informé le Conseil que les conclusions de la mission du FMI ont permis d’illustrer que des progrès sont en train d’être faits dans l’amélioration des recettes minières.

Il a déploré l’inégalité du prix de la bauxite dans les différentes sociétés comme si nous n’étions pas dans le même pays. Le Président a ensuite ordonné aux départements des mines, du budget et des finances de se pencher sur le cours mondial de la bauxite et de soumettre au Premier ministre le 15 juin le rapport pour examen avant transmission par celui-ci le vendredi 17 juin 2022 du projet d’arrêté conjoint fixant le prix de référence de la bauxite. » extrait du compte rendu du conseil des Ministres du jeudi 9 juin 2022.

  • LA PROBLEMATIQUE D’ENSENBLE : Les recettes minières de la Guinée n’atteignent pas leur potentiel
  • Une évaluation des recettes issues des ressources naturelles de la Guinée par rapport aux rentes des ressources naturelles — ces dernières étant définies comme la différence entre la valeur de production d’un stock de ressources naturelles aux prix mondiaux et son coût de production total estimé — montre que les recettes ont globalement capté les rentes de la Guinée au milieu des années 80, mais que l’écart entre les rentes et les recettes s’est rapidement creusé à partir des années 90.
  • L’analyse du potentiel fiscal de la Guinée montre que les recettes fiscales globales et les recettes tirées des ressources naturelles estimées pourraient être en moyenne supérieures de respectivement 7,3 % et 5,0 % du PIB à ce qu’elles ont été au cours des dix dernières années. Sources : (Rapport du FMI n° 21/147 Fonds monétaire international GUINEE CONSULTATIONS DE 2021 AU TITRE DE L’ARTICLE IV)

 

  • LES PRIX DE TRANSFERT SONT LA PRINCIPALE CAUSE

Les prix de transfert désignent la pratique consistant à fixer un prix pour l’achat d’un bien ou d’un service entre deux parties affiliées. Étant donné que la plupart des impôts et prélèvements dépendent directement ou indirectement de la valeur des minerais extraits ou exportés, il est important que la valeur de ces minerais soit déterminée précisément, en fonction de leur qualité physique et des conditions de marché. Les prix de transfert sont considérés comme abusifs lorsque les parties mettent en place un niveau de prix visant à réduire leur revenu imposable combiné.

Un exemple serait une société minière A travaillant en Guinée, qui reçoit des services de conseil d’une entité liée B basée dans un autre pays où la fiscalité est relativement avantageuse. A rémunère B pour ces services. A et B conviennent de gonfler le prix facturé pour ces services, ce qui réduit les bénéfices de A réalisés en Guinée et transfère ces bénéfices à B. Cette opération réduit le niveau de l’impôt sur les sociétés de A assis sur les bénéfices tout en augmentant l’impôt de B d’un montant très inférieur puisqu’elle est établie dans un pays à fiscalité avantageuse.

Les risques de transferts de bénéfices dus à des manipulations des prix de transfert sont particulièrement élevés dans le secteur de la bauxite. De nombreuses sociétés productrices de bauxite sont affiliées à des producteurs d’aluminium étrangers auxquels elles vendent la bauxite qu’elles extraient. Cette intégration entre l’acheteur et le vendeur accroît les opportunités de transfert des bénéfices par une conception stratégique des mécanismes de prix de transfert. Plus précisément, la bauxite peut être vendue à des prix insuffisants et, sachant que l’impôt sur les sociétés est basé sur les prix facturés, cela réduit les bénéfices imposables des producteurs de bauxite et augmente les bénéfices de l’acheteur affilié (il faut souligner que les redevances minières ne sont pas directement affectées par cette pratique car elles ne sont pas basées sur les prix facturés mais sur un indice des prix publié). La réduction de l’impôt sur les sociétés combiné dû par les deux sociétés (affiliées) qui en résulte encourage cette pratique car les acheteurs sont souvent établis dans des pays dont la fiscalité est plus favorable que celle de la Guinée. Cette pratique a pour effet de diminuer le montant des recettes que l’État guinéen peut collecter.

  • LE CADRE REGLEMENTAIRE DES PRIX DE TRANSFERT

Le cadre réglementaire cherche à éviter les transferts de bénéfices liés à des manipulations des prix de transfert. Le code minier (article 138-III) et le code général des impôts (article 117 Ter et 1125 CGI 2022) obligent à vendre les produits miniers à des prix de pleine concurrence quel que soit l’acheteur (qu’il soit affilié au vendeur ou non). Plus précisément, le CGI dispose que les bénéfices indirectement transférés à des sociétés affiliées à l’étranger (ou à des sociétés établies dans des territoires ayant un régime fiscal privilégié) par un ajustement des prix ou par d’autres moyens doivent être réintégrés dans le résultat aux fins du calcul de l’impôt sur les bénéfices. Le CGI conclut aussi à la présence de transferts de bénéfices lorsqu’il existe un écart entre les prix pratiqués et ceux qui seraient considérés comme des prix de pleine concurrence dans des conditions de marché similaires. Enfin, il met des obligations de documentation des prix de transfert à la charge des sociétés.

  • DES INDICES DE PRIX EXISTENT DEJA POUR DEVELOPPER UN PRIX DE REFERENCE DE LA BAUXITE :

 Les indices déjà disponibles pourraient donner d’utiles indications. La demande de bauxite est étroitement liée à celle de l’aluminium, car la quasi-totalité de la bauxite est utilisée pour fabriquer de l’aluminium.

Les prix d’équilibre de l’aluminium — enregistrés sur le London Metal Exchange (LME) par exemple — pourraient donner des informations utiles pour déterminer le prix de la bauxite. le prix de l’aluminium sur le LME est déjà utilisé pour la taxe sur l’extraction et la taxe à l’exportation, en vertu du code minier. En outre, il existe différents indices des prix de la bauxite fondés sur ses caractéristiques physiques et économiques.

Plusieurs entités (comme le CRU, Asian Metal et CBIX) produisent des indices accessibles sur abonnement. Les autorités guinéennes pourraient envisager d’intégrer un ou plusieurs de ces indices dans les directives nationales sur les prix de pleine concurrence. Il faut toutefois garder à l’esprit que ces indices peuvent être influencés par les décisions des grands pays acheteurs de bauxite. Ils peuvent néanmoins servir de base à une approximation raisonnable du prix de pleine concurrence.

  • METHODOLOGIE DES PRIX DE REFERENCE :

 La méthodologie d’établissement des prix de référence devrait prendre en compte les caractéristiques physiques et la qualité de la bauxite extraite, les conditions de marché et les autres coûts de transaction.

Les caractéristiques physiques sont le taux d’humidité de la bauxite (un taux d’humidité excessif augmente le poids et donc le coût de transport et complique le raffinage), la teneur en alumine (une teneur élevée réduit le coût de production de l’alumine et devrait donc augmenter le prix de la bauxite) et la présence d’impuretés physiques et de contaminants comme l’oxyde de fer et la silice (qui augmentent le coût de transformation de la bauxite en alumine et réduisent donc le prix).

La méthodologie nationale des prix de référence tiendrait également compte des conditions de marché, telles l’offre et la demande mondiales de bauxite. Les coûts de transaction jouent aussi un rôle non négligeable dans la valeur de la bauxite ; la quasi-totalité de la bauxite guinéenne est raffinée à l’étranger, ce qui impose de l’expédier par mer à sa destination, le plus souvent la Chine. Les coûts associés de transport et d’assurance réduisent le prix du produit de base pour parvenir à un prix FAB. Plusieurs services internationaux estiment le coût du fret et de l’assurance entre différents points d’origine et de destination.

Par Mohamed CAMARA

Économiste Consultant Associé Gérant du Cabinet Conseil MOCAM CONSULTING