Des documents ayant fait l’objet d’une fuite révèlent comment la femme la plus riche d’Afrique a fait sa fortune en exploitant son propre pays.
Isabel dos Santos a réalisé des transactions lucratives sur plusieurs spéculations et biens concernant notamment des titres fonciers, le pétrole, les diamants et les télécommunications lorsque son père était président de l’Angola, un pays d’Afrique australe riche en ressources naturelles.
Les documents montrent comment elle et son mari ont été autorisés à acheter de précieux biens de l’État dans le cadre d’une série de transactions suspectes.
Mme Dos Santos affirme que les allégations contre elle sont entièrement fausses et qu’il y a une chasse aux sorcières du gouvernement angolais sous fond de motivations politiques.
La fille de l’ancien président a élu domicile au Royaume-Uni et possède des propriétés coûteuses dans le centre de Londres.
Elle fait déjà l’objet d’une enquête des autorités angolaises pour corruption et ses avoirs dans le pays ont été gelés.
BBC Panorama a eu accès à plus de 700 000 documents ayant fait l’objet de fuites sur l’empire commercial de la milliardaire.
La plupart ont été obtenus par la Plateforme pour la protection des dénonciateurs d’abus en Afrique et partagés avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).
Ils ont fait l’objet d’enquêtes par 37 organisations de médias, dont le Guardian et le journal Expresso du Portugal.
Andrew Feinstein, le chef de Corruption Watch, déclare que les documents montrent comment Mme Dos Santos a exploité son pays au détriment du peuple angolais.
« Chaque fois qu’elle apparaît sur la couverture d’un magazine papier glacé quelque part dans le monde, chaque fois qu’elle organise une de ses soirées glamour dans le sud de la France, elle le fait en piétinant les aspirations des citoyens angolais ».
L’ICIJ a appelé ces documents les Fuites de Luanda.
La connexion pétrolière
L’une des transactions les plus suspectes a été menée depuis Londres par une filiale britannique de la société pétrolière d’État angolaise Sonangol.
Mme Dos Santos avait été nommée à la tête de la Sonangol en difficulté en 2016, grâce à un décret présidentiel de son père Jose Eduardo dos Santos, qui avait gardé un contrôle étroit sur son pays pendant les 38 années où il était au pouvoir.
Mais lorsqu’il a pris sa retraite en septembre 2017, son poste a été rapidement menacé, même si son successeur, trié sur le volet, était issu du même parti.
Mme Dos Santos a été licenciée deux mois plus tard.
De nombreux Angolais ont été surpris par la façon dont le président João Lourenço s’est attaqué aux intérêts commerciaux de la famille de son prédécesseur.
Les documents ayant fait l’objet d’une fuite montrent qu’en quittant la Sonangol, Mme Dos Santos a approuvé 58 millions de dollars de paiements suspects à une société de conseil établie à Dubaï appelée Matter Business Solutions.
Elle soutient qu’elle n’a aucun intérêt financier dans Matter, mais les documents divulgués révèlent que cette société était dirigée par son directeur commercial et appartenait à un ami.
BBC Panorama a pu constater que Matter a envoyé plus de 50 factures à Sonangol à Londres le jour où elle a été licenciée.
Mme Dos Santos semble avoir approuvé des paiements à l’entreprise de son ami après son licenciement.
Bien que Matter ait effectué un certain travail de consultance, il y a très peu de détails pour justifier des factures aussi importantes.
Une demande de 472 196 € pour des dépenses non spécifiées – une autre demande 928 517 $ pour des services juridiques non spécifiés.
Deux des factures – chacune de 676 339,97 € – concernent exactement le même travail à la même date et Mme Dos Santos les a quand même signées toutes les deux.
Les avocats de Matter Business Solutions disent que l’entreprise a été amenée à aider à la restructuration de l’industrie pétrolière en Angola, et que les factures concernaient des travaux qui avaient déjà été effectués par d’autres sociétés de conseil qu’il avait engagées.
« En ce qui concerne les factures liées aux dépenses, il est courant que les sociétés de conseil ajoutent les dépenses aux factures comme un poste général. Cela est souvent dû à ces dépenses qui impliquent une grande quantité de paperasserie… La société peut produire des preuves documentaires pour confirmer toutes les dépenses encourues ».
Les avocats de Mme Dos Santos ont déclaré que ses actions concernant les paiements de l’affaire étaient tout à fait légales et qu’elle n’avait pas autorisé de paiements après son licenciement de Sonangol.
« Toutes les factures payées concernaient des services contractés et convenus entre les deux parties, dans le cadre d’un contrat qui a été approuvé en toute connaissance de cause et avec l’accord du conseil d’administration de Sonangol », indiquent-ils
L’ICIJ et BBC Panorama ont également découvert de nouveaux détails sur les transactions commerciales qui ont fait la richesse de Mme Dos Santos.
Une grande partie de sa fortune est basée sur sa participation dans la société énergétique portugaise Galp, qu’une de ses sociétés a achetée à Sonangol en 2006.
Les documents montrent qu’elle n’a dû payer que 15 % du prix d’achat à l’avance et que les 63 millions d’euros restants (70 millions de dollars) ont été transformés en un prêt à faible taux d’intérêt de Sonangol.
Selon les termes généreux du prêt, sa dette envers le peuple angolais n’a pas eu à être remboursée pendant 11 ans.
Sa participation dans Galp s’élève aujourd’hui à plus de 750 millions d’euros.
La société de Mme Dos Santos a proposé de rembourser le prêt de Sonangol en 2017.
L’offre de remboursement aurait dû être rejetée car elle ne comprenait pas les 9 millions d’euros d’intérêts dus.
Mais Mme Dos Santos était responsable de la Sonangol à l’époque et elle a accepté l’argent comme paiement intégral de sa propre dette.
Elle a été licenciée six jours plus tard et le paiement a été retourné par la nouvelle direction de Sonangol.
Mme Dos Santos dit qu’elle a initié l’achat de la participation dans Galp, et que Sonangol a également gagné de l’argent grâce à cette transaction.
« Il n’y a absolument aucune faute dans ces transactions. Cet investissement est celui qui, dans l’histoire, a généré le plus de bénéfices pour la compagnie pétrolière nationale et tous les contrats qui ont été rédigés sont des contrats parfaitement légaux, il n’y a pas de méfaits ».
Ses avocats disent que l’offre de remboursement en 2017 couvrait ce que Sonangol avait indiqué comme étant dû.
Le lien avec l’industrie du diamant
C’est une histoire similaire dans l’industrie du diamant.
Le mari de Mme Dos Santos, Sindika Dokolo, a signé un accord unilatéral en 2012 avec la société diamantaire d’État angolaise Sodiam.
Ils étaient censés être partenaires à 50-50 dans un accord pour acheter une participation dans le bijoutier de luxe suisse De Grisogono.
Mais il a été financé par la société d’État.
Les documents montrent que 18 mois après la transaction, la Sodiam avait investi 79 millions de dollars dans le partenariat, alors que M. Dokolo n’avait investi que 4 millions de dollars.
La Sodiam lui a également accordé une commission de 5 millions d’euros pour avoir négocié l’accord, ce qui lui a permis de ne pas utiliser son propre argent.
Les révélations sur les transactions suspectes sur le marché des diamants sont encore pire pour le peuple angolais.
Les documents révèlent comment la Sodiam a emprunté tout l’argent d’une banque privée dont Mme Dos Santos est le plus gros actionnaire.
La Sodiam doit payer 9 % d’intérêt et le prêt a été garanti par un décret présidentiel de son père, de sorte que la banque de Mme Dos Santos ne peut pas être perdante.
Bravo da Rosa, le nouveau directeur général de la Sodiam, a déclaré à BBC Panorama que le peuple angolais n’avait pas récupéré un seul dollar de l’opération.
« Au final, quand nous aurons fini de rembourser ce prêt, la Sodiam aura perdu plus de 200 millions de dollars ».
L’ancien président a aussi donné au mari de Mme Dos Santos le droit d’acheter une partie des diamants bruts de l’Angola.
Qui est Isabel dos Santos?
– Fille aînée de l’ex-Président Jose Eduardo dos Santos
– Marié à Sindika Dokolo, collectionneur d’art et homme d’affaires congolais
– Etudes au Royaume-Uni, où elle vit actuellement
– Elle serait la femme la plus riche d’Afrique, avec une fortune de quelque 2 milliards de dollars
– A des participations dans des compagnies pétrolières et de téléphonie mobile et dans des banques, principalement en Angola et au Portugal.
Source: Forbes magazine and others