Budgets électoraux de 2015 à 2020: en dépit des montants colossaux engloutis, la CENI n’est pas soumise à la reddition des comptes (enquêtes)

L’organisation des élections en Guinée a été au centre de nombreux remous, dont les conséquences directes et indirectes à l’Etat ont entraîné des saignées financières de plusieurs ordres. Au centre de ces phénomènes, la Commission électorale nationale indépendante, CENI, dont la gestion du budget électoral est tout, sauf transparente. Et comment ?

Quatre élections sur cinq ont englouti au moins 1 695 milliards de francs glissants, entre 2015 et 2020. Soit une misère de près 139 millions d’euros (taux du 5 février 2021). Un budget salé pour un pays classé 178è sur 189 dans l’Indice de développement humain en 2019, selon la note d’info du Rapport sur le développement humain 2020, (le PNUD en publie chaque année).Le magot représente plus du tiers du budget prévu pour la construction de la route nationale numéro 1 Coyah-Mamou-Dabola de 370 kilomètres, d’un coût évalué à 357 302 942 d’euros.

Sauf que la gestion de ce budget électoral n’a connu aucune visibilité et s’effectue dans une opacité sans comparaison. Il n’a pas connu d’audit, ni interne ni externe. Une «indépendance» inédite de la part de la CENI… vis-à-vis de la loi L044, modifiant certaines dispositions de la loi organique L/016 du CNT, portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante, CENI. En son article 26, alinéa un, ce texte stipule : «Dans l’exécution de son budget, la CENI procède au moins une fois par an à un audit interne, afin de s’assurer de l’application correcte des règles de gestion budgétaire en vigueur.»Les alinéas 2 et 3 du même article ajoutent : «La CENI est soumise annuellement à un audit externe du budget réalisé par un auditeur recruté par voie d’appel d’offres ouvert. L’audit externe est commandité par le Ministère de l’Economie et des Finances. Le rapport issu de cet audit est transmis au Président de la République, à l’Assemblée nationale et à la Cour des comptes. Il est publié au Journal Officiel de la République.» Il en est de même des alinéas 3, 4 et 5 de l’article 23 de la Loi L016 du CNT 2012. Sur papier, cela paraît facile. Sur le terrain, la réalité est tout autre. Des infos glanées çà et là montrent que la vaillante CENI guinéenne ne s’est jamais soumise à un tel contrôle.

A la CENI

Au siège de l’OGE (Organe de gestion des élections et du référendum en Guinée), CENI, un mystère tourne autour du budget de l’élection présidentielle du 18 octobre 2020. Le mutisme est quasiment partout. Le 20 janvier, au 8è étage où elle trône, Dame Séraphine Kondiano, la Questeure de l’OGE, Chargée de la gestion financière et de l’administration intérieure, nous balance : «C’est vrai que je connais le budget, mais je n’en suis pas l’ordonnateur. L’ordonnateur du budget électoral est Monsieur le Président qui n’est pas encore arrivé.» Mais, le projet de budget des élections communales et communautaires de 2018 avait été dévoilé par feu Me Kébé… «Malheureusement, Monsieur Cissé n’est pas Me Kébé, paix à son âme (…) Donc, laissez-moi votre contact, je vais lui (Kabinet Ndlr) remonter ce que vous cherchez. S’il me donne l’autorisation, je vous le dirais », promet-elle. Il était 11h 05. Une semaine passe, dame Kondiano garde toujours sa langue dans son foulard. Lundi, 1er février. Au téléphone, rendez-vous est pris pour le jeudi, 4 février. Arrive ce jour-là. Il est 12h 05 : «Monsieur, je suis en plénière», nous murmure-t-elle au téléphone. «Je suis au rez-de-chaussée de votre siège, avec la sécurité…» «Rappelez-moi !», lance-t-elle et vlan ! elle raccroche.

Allons au 5è étage qui abrite le département Information, communication et sensibilisation, piloté par Aly Bokar Samoura. Portes closes. Nous déambulons dans le couloir. A 12h 35, arrive le commissaire sans grade, AB Samoura. «Si vous cherchez le budget, c’est Mme Séraphine Kondiano qui peut vous le donner. Mais on est en plénière. Néanmoins, montez avec moi, je vais lui dire de vous rencontrer…» Quand dame Séraphine est sortie de la salle, elle nous balance à la figure : «Monsieur, rappelez-moi après la plénière…» A quelle heure ? «Je ne sais pas à quelle heure nous allons finir.» Puis-je vous rappeler à 16h ? «Oui», et elle entre dans la salle. Depuis, son téléphone joue aux abonnés absents, comme celui du Prési de la CENI, Le Kabinet Cissé.

Dans les couloirs du 5è étage, pendant que nous faisions le pied de grue, un habitué des couloirs de la CENI, peu loquace, indique : «Monsieur, l’affaire d’audit ici-là, il faut oublier ça. Parce qu’il y a trop d’imprévus. Le Président (de la CENI), peut envisager une mission avec 10 véhicules, on peut se retrouver à la fin avec 15 ou 20. Comment on peut gérer tous ces imprévus ? L’audit du budget électoral ici est un faux débat. Oubliez ça ! Le Président a eu son 3è mandat ? Il n’a qu’à se contenter de ça. Les députés sont à l’Assemblée nationale, ils n’ont qu’à se contenter de ça… Mais ne mettez pas ça dans la presse, hein !» Donc, vous n’avez rien lu.

Toujours, le 4 février, Mamady Condé, le chef comptable de la CENI, au téléphone, affirme qu’il «n’a pas le budget maintenant.» Parce que vous êtes à la maison ou bien parce qu’il n’est plus dans vos mains ? «Le second», répond-il. Vous ne vous souvenez pas non plus d’un chiffre ? «Non», répond-il, sèchement, avant de raccrocher.

Quid de la transmission des «rapports d’audit», si audit il y a eu, à la Présidence de la République, à l’Assemblée nationale et à la Cour des comptes ainsi que sa publication au Journal Officiel de la République, conformément à l’article 26 de la loi L 044? Voyons voir !

Ministère de nos Pitances

Le 20 janvier dernier, Lamine Sanoh, Inspecteur général des finances, du ministère éponyme, a narré : «Nous ne sommes pas le service qui peut vous fournir des informations précises et claires sur ça (audit du budget électoral de la CENI Ndlr). Nous sommes une structure de contrôle, mais ceux qui abordent le budget sont ailleurs.» Pourtant, l’article 26 de la loi sur la CENI demande à votre service, en tout cas à votre ministère, que… Lamine Sanoh coupe et se livre à une dissertation, avec l’appui d’un de ses collaborateurs :«Nous avons trois types de missions. Des missions propres à nous, c’est-à-dire des missions que nous planifions nous-mêmes, des missions conjointes (avec d’autres services comme l’Inspection d’Etat) et les missions sur saisine. Nous, nous faisons une programmation annuelle de missions, dans le cadre de l’assainissement des finances publiques et éventuellement du contrôle budgétaire dans tous les domaines, dans tous les services, même à la CENI d’ailleurs. Mais cette programmation se fait en début de chaque année. Dans le cas d’espèces, on peut la faire, sur la base d’une saisine. C’est le ministre qui peut dire par exemple : monsieur l’Inspecteur général, on vous demande de faire un tel contrôle sur le budget de la CENI (…) Au jour d’aujourd’hui, on n’a pas encore été saisi.» Voulez-vous dire que depuis toujours, vous n’avez pu effectuer un audit à la CENI ? Il bégaie et finit par avouer : «Pour le moment, on n’a pas diligenté une mission de contrôle à la CENI.» L’Inspection générale des finances n’en a pas fait ? Lamine Sanoh de promettre : «Cette année, c’est dans le planning, nous envisageons de le faire dans le cadre du Programme annuel de contrôle des finances…» «Comme Monsieur l’Inspecteur général des finances vient de vous le dire, c’est une mission propre, une mission d’auto-saisine qu’on fait, ou bien une mission conjointe ou bien encore une mission sur saisine. Vous avez compris ?» Cinq-cinq. Vous avez quand-même effectué une de ces missions à la CENI, antérieurement ? L’Inspecteur Sanoh de répondre : «Nous ne sommes pas la seule  structure de contrôle ici, hein ?» Au ministère des Finances, vous êtes quand-même le seul service, non ? «Pour le contrôle a posteriori, oui ! Nous sommes toujours a posteriori. Cette année, on envisage.»

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