Biogaz : la Guinée en quête de stratégie

Comment amener les ménages à renoncer au charbon de bois pour le gaz ? C’est à cette difficile équation que le gouvernement guinéen tente de répondre depuis le début de l’année 2019. Par le biais  d’une stratégie accélérée de substitution du gaz butane au bois de chauffe.

C’est en conseil des ministres qu’il a été décidé récemment de promouvoir la consommation du gaz butane, comme solution alternative à la coupe abusive du bois. Cela, face aux nombreux défis environnementaux fortement interconnectés. Mais comment y parvenir dans un pays où le prix de 120.000 FG, pratiqué pour l’achat d’une bouteille de gaz de 6 KG est hors de la dimension du revenu moyen des ménages, et en même temps largement décalé du prix d’un sac de charbon, se négociant lui, dans la fourchette de 25.000 FG à 35.000 FG ?

La Guinée perd 35 mille hectares de forêts par an

La pression croissante exercée sur les ressources forestières pour la satisfaction d’une demande en bois-énergie pourrait mettre en péril les politiques et stratégies de lutte contre la déforestation si rien n’est fait. Le capital forestier de la Guinée, largement entamé depuis les années 80 connait un rythme de régression des superficies forestières estimées à 35 000 hectares par an. Le prélèvement de bois pour les besoins énergétiques nationaux, estimé à 7 millions de tonnes par an, constitue une des causes de la surexploitation des ressources ligneuses autour des centres urbains.

Ainsi, pour faire face à cette problématique, le Gouvernement a décidé de promouvoir l’utilisation généralisée du gaz butane, dans le but de réduire et de supprimer à terme l’utilisation du bois énergie dont la production a un effet dévastateur sur l’Environnement.

Carence d’une politique étatique de promotion du gaz

Selon des spécialistes du secteur, l’un des obstacles majeurs à la percée du gaz butane en Guinée, a toujours été l’absence d’une politique de l’Etat visant à soutenir ce produit. Le marché guinéen du gaz est très faible (1.500 TM par an environ) comparé à celui des pays voisins dont la consommation est autour de 100 voire 150 mille tonnes par endroit.

Le prix du gaz est aussi hors de portée du revenu moyen des ménages. Ce qui expliquerait le retrait du marché guinéen sur celui des voisins. Le prix de 120.000 FG pour une bouteille de gaz de 6 KG est également hors de portée du revenu moyen des ménages et est largement décalé du prix d’un sac de charbon qui se négocie dans la fourchette de 25.000 FG à 35.000 FG.

Et pour aller plus vite, le Gouvernement a déjà mis en place un Fonds d’Appui promotionnel dédié à cet effet.

Selon le ministre guinéen des hydrocarbures, Diakaria Koulibaly, la structure est créée, la direction générale a aussi été nommée.

« Le Décret portant création du fonds d’appui à la promotion du gaz butane a été signé par le Président de la République. C’est un décret qui est conforme aux dispositions de la loi portant Gouvernance Financière des Sociétés et Etablissements Publics en République de Guinée. La direction générale a été aussi créée. Le Fonds d’appui à la promotion du gaz butane a pour mission essentielle : la mise en œuvre de la stratégie nationale de vulgarisation du gaz butane ; la compensation des différentiels de prix qui résulteraient entre les couts réels de production et les prix promotionnels homologués ; l’Incitation à la consommation de gaz butane par la mise en œuvre de stratégies de commercialisation et de distribution en facilitant l’accès pour les consommateurs.»

Des prix à la tête du client

Sur le terrain, au moins  sept (7) opérateurs fournissent le gaz aux consommateurs : il s’agit de SOGEDI Gaz, BIOGAZ, GAZ HERIKO KESSEMA, KAMA GUINEE, MAMA GAZ, ORYX GUINEE, SODIGAZ GUINEE, YA-GAZ précise Mamadou Diouldé Baldé, marchand de gaz basé à quelques encablures du pont de Kaporo.

 « Quand nous prenons les bouteilles NP en rouge, il y’a deux catégories : il y’a la petite bouteille qu’on appelle B6, 6 KG, la société NP nous les livre à 95.000 Gnf, le prix unitaire pour les revendre à 110.000 ou 120.000 Gnf et la bouteille B12, ou 12 KG à 191.000 Gnf pour revendre entre 220.000 Gnf ou 240.000. Au  niveau des bouteilles passe-partout, on nous les fournit à 100.000 Gnf pour les 6 KG pour le revendre à 120 ou 130.000 Gnf et à 200.000 pour les 12 KG qu’on revend à 240, 250 ou 260.000 Gnf. Maintenant, il y’a la bouteille de couleur jaune qui sont de la société Ya Gaz qu’on nous fournit au même prix que les anciennes bouteilles et qu’on revend aux consommateurs au même prix que les bouteilles passe-partout », avant de nous confier sourire aux lèvres : « Le prix du gaz, ça dépend de la tête du client », fin de citation.

 « Il n’y a pas de raison que l’État fasse des efforts et qu’au même moment dans une même ville comme Conakry que les prix soient disparates d’un point revendeur à un autre », assure Diakaria Koulibaly.

Une Commission Interministérielle devant concevoir et promouvoir la stratégie accélérée de substitution du gaz butane au bois de chauffe, qui rendra compte mensuellement au conseil des ministres de l’évolution de ses travaux a été mise en place. Elle aura aussi la tâche d’explorer des possibilités de coopération avec des pays comme le Nigeria et le Qatar, grands exportateurs de Gaz Naturel liquéfié en vue de négocier des prix plus avantageux.

Les leviers du changement de comportement

La question vaut tout son pesant d’or. Mais le ministre guinéen des hydrocarbures ne manque pas de réponse. D’après Diakaria Koulibaly, il faut créer les conditions et parmi ces conditions, il y’a d’abord la sensibilisation, ensuite, il faut aussi faire en sorte que le gaz soit disponible localement avec une meilleure qualité et enfin fixer un prix en rapport avec le pouvoir d’achat des consommateurs.

 « Il y en a plein qui ont peur du gaz parce qu’ils pensent que le gaz c’est le feu et le faire fonctionner à la maison, c’est encore créer les conditions d’insécurité ou des conditions d’incendie, donc il faut sensibiliser et éduquer mais au-delà de cela, il faut impacter le prix parce que, ce qui rend effectif la volonté d’achat d’un consommateur, c’est son pouvoir d’achat. A beau sensibiliser les gens, a beau inciter les consommateurs à déplacer les habitudes du bois de charbon ou du charbon pour le gaz, si leur pouvoir d’achat ne leur permet pas, ils resteront au stade des intentions, ils ne pourront pas la rendre effective parce qu’ils n’auront pas les moyens pour acheter les bouteilles…Donc, on travaillera pour mettre en place une structure et faire un encadrement mensuellement. Mais également on fera en sorte qu’il y ait une certaine proximité entre le prix du sac de charbon et le prix de la bouteille de 6 kilos… Si on parvient à réduire au mieux l’amplitude entre les deux comme ça, on sera fort dans la sensibilisation pour amener le ménage à renoncer au charbon pour le gaz. Tant que l’écart est considérable entre les deux et au même moment  le pouvoir d’achat du ménage est faible, alors on a qu’à beau sensibiliser, ils ne seront pas incités à aller vers la consommation du gaz. Donc on est dans cette politique-là. On mettra, les fournisseurs, les opérateurs gazeux ensemble, on travaillera conjointement, de manière à optimiser  le coût à la pompe de manière à construire la logistique gazière ».

De la subvention de l’Etat au biogaz 

Le travail collégial avec les opérateurs pour encadrer le prix par zone avec les efforts étatiques doit être optimisé tient à préciser Diakaria Koulibaly.

Selon le ministre des hydrocarbures, l’appui de l’Etat s’est déjà matérialisé par la renonciation à une partie de la fiscalité sur la TVA. Au sein du gouvernement nous apprend-il, L’on y réfléchit également à un abandon des taxes sur les accessoires du gaz.

 « Les ressources de l’État étant limitées, c’est un appui qui est fait. Il y a déjà un premier appui qui est fait au niveau de la fiscalité parce qu’il n’y a pas de TVA à la consommation du gaz, l’État a pris la décision sur lui au détriment de ses recettes d’abandonner cette taxe pour que le prix du gaz soit allégé mais il reste également à subventionner ou à abandonner les taxes sur les accessoires du gaz notamment la bouteille, les supports de marmites, les brûleurs (…) on ne promet pas sur l’ordre de la grandeur… mais également on a dit qu’il faut des mesures complémentaires parce que si l’État fait des efforts pour subventionner le gaz il faut que cela impacte les habitudes parce qu’il ne faudrait pas que d’un côté l’État débourse les moyens et rétrécit sa surface financière pour pouvoir soulager les consommateurs et au même moment la foret se détruit de manière infernale par le fait des hommes donc il faut des mesures complémentaires de part et d’autre » affirme le ministre Koulibaly.

Un dépôt pétrolier en construction

 Déjà, un dépôt pétrolier est en construction à Kamsar depuis Novembre 2018. D’après le technicien Koulibaly, les travaux avancent et contractuellement d’ici un an et demi, le dépôt devrait être achevé et mis en service. Ce qui devrait contribuer à stocker davantage le produit et à amoindrir le coût d’approvisionnement, tout en aidant dans la planification et la surveillance pour que les prix soient homologués. Un immense chantier mais le ministre des Hydrocarbures, en véritable guerrier, le sait : « A cœur vaillant, rien d’impossible ».

Mônêmoundomma Bangoura (In Emergence Mag N°04 – Juin 2019)