Premier magazine dédié à l’économie guinéenne et africaine

INTERVIEW – Ousmane SAVANÉ, Directeur Commercial et Exploitation Alport Conakry : « Notre ambition, faire du Port de Conakry, le plus compétitif » (1)

Le Port de Conakry est en pleine mutation. D’importants travaux de modernisation et d’extension enclenchés par le Groupe Albayrak, adjudicataire du contrat de concession accordé par les autorités guinéennes en 2018, avancent à pas de géant.

Alport Conakry, la filiale de droit guinéen du conglomérat turc se donne les moyens et la technologie nécessaires pour faire du principal Port de la capitale guinéenne, une plaque tournante du fret dans la sous-région ouest-africaine. Interview exclusive avec son Directeur Commercial et Exploitation Ousmane Savané. (Première partie)

Emergence – En Août 2018, la Guinée signait un contrat de concession avec le groupe Albayrak. Quelle était l’opportunité d’un tel accord ?

Ousmane Savané : Il était opportun de signer ce contrat. Au moment où le Président de la République, Pr Alpha Condé a jugé nécessaire de faire signer cette concession, le port de Conakry faisait face à plusieurs difficultés. Il y avait trop de surestaries sur les navires du Terminal conventionnel. Un seul navire par escale pouvait cumuler jusqu’à 300.000 dollars de surestaries.

Il faut rendre hommage au Chef de l’Etat qui a pris son bâton de pèlerin pour attirer les investisseurs vers la Guinée. Ce qui a abouti à des partenariats entre deux grands pays la Guinée et la Turquie, donnant lieu à un grand projet qu’est le projet Albayrak. Au moment où le Professeur Alpha Condé avait jugé nécessaire de concéder le port à Albayrak, la Guinée faisait face à d’énormes difficultés organisationnelles, structurelles qu’opérationnelles. Il y avait trop de surestaries sur les navires, ce qui se répercutait sur les prix à la consommation.

Le Terminal conventionnel ne disposait que de quatre postes à quais exploitables. Ce qui était très insuffisant par rapport à la concurrence. La capacité d’accueil des navires et des marchandises était très limitée. Le port de Conakry à une profondeur moyenne de 9,5 mètres, ce qui est aussi très insuffisant par rapport à la concurrence. On avait un Terminal vieux de 123 ans et dont la dernière réhabilitation remontait à 1992. En bref, le coût de passages portuaires était très élevé et cela se répercutait sur les prix.

Au niveau du trafic, quand tu prends les indicateurs de performance des ports, le port de Conakry était largement en bas del ‘échelle. C’est-à-dire, pendant qu’on était à 9,2 millions tonnes de marchandises par an que nous considérions comme un record, le port de Dakar était à 19 millions de tonnes, celui d’Abidjan à 22 millions de tonnes et le port de Lomé à 19 millions de tonnes.

Toujours au niveau des indicateurs de performance, on était à zéro tonne de transbordement pendant que le port de Lomé enregistrait 12 millions de tonnes de marchandises en transbordement et le Port d’Abidjan était à 1 million de tonnes de transbordement.

Au niveau du transit, on était à l’époque à 200 000 tonnes, alors que le port de Dakar était à 2,7 millions de tonnes, Abidjan 2 millions de tonnes de transit, le port de Lomé était à 2,9 tonnes.

C’était pour répondre à l’urgence nationale, au besoin de l’économie que l’Etat guinéen a concédé le port de Conakry afin de nous hisser aux standards internationaux et d’être un port au service de l’économie nationale.

Une partie de l’opinion avait crié à un contrat de gré à gré. Est-ce que des études préalables avaient-elles été faites pour s’assurer que le partenaire est à mesure d’atteindre les objectifs que la Guinée se fixait ?

C’est un projet qui a suivi toutes les procédures normales, en tout cas légales en la matière. L’offre d’Albayrak a attiré l’attention des autorités guinéennes. Albayrak a fait une première offre, une deuxième et même une troisième qui a été à chaque fois revue par le port. Le cabinet qui a accompagné l’Etat guinéen dans ce contrat est une des grosses boites de prestation intellectuelle au monde, le cabinet Backer McKenzie basé à Chicago.

Par rapport à l’expertise d’Albayrak, deux missions conduites par les Directrices générales de l’époque ont été effectuées. Ces missions visaient à s’assurer de la capacité technique de la société. Mais aussi de sa capacité financière à réaliser ce projet. Tout le monde s’est rendu compte qu’Albayrak est une grosse industrie financière qui a plus d’une trentaine d’entreprises et qui a plus de 20.000 employés à travers le monde. C’est une puissance financière. Nous nous sommes rassurés de la capacité financière et les intérêts de la Guinée ont été défendus dans ce contrat.

Je n’ai pas vu un contrat de concession dans le domaine portuaire encore bien ficelé et qui veille à l’intérêt de la Guinée que ce contrat. Et je peux dire que c’est le meilleur contrat de concession portuaire dans la sous-région. Ce contrat nous a épargné d’un endettement de 774 millions de dollars US. Un travail devait s’effectuer à 774 millions de dollars US, où l’Etat guinéen devait s’endetter, Albayrack fait moins, à 500 millions de dollars US sur financement propre.

Expliquez-nous les détails de cette concession ? Qu’est-ce qui devait être fait ?

Avant Albayrak, le Port de Conakry avait signé en 2016 un contrat de travaux avec la société China Harbour Engineering Compagnie (CHEC). Ce contrat prévoyait la réalisation d’un quai de 826 mètres linéaires, d’un terreplein de 31 hectares, d’un remblai sans aménagement de 41 hectares, d’un parking d’une capacité de 600 camions, d’une route de 7 mètres de large avec 0,50 mètre d’accotement et d’une contournante de 4 km. Voici ce projet CHEC chiffré à 774 millions de dollars US.

Albayrak va faire un parking de 2004 camions au lieu d’un parking de 600 camions. Elle a fait une route 2 X 2 voies de 17 mètres de largeur au lieu de 7 mètres. Albayrak va faire 2700 mètres linéaires de quai fondé à moins 14 au lieu de 826 mètres linéaires de quai. Albayrak va draguer 7000 mètres linéaires à moins 14, du chenal d’accès Jusqu’à la digue du nord. Elle va faire le dragage d’approfondissement, alors que cela n’était pas prévu dans le contrat du CHEC.

La société va réhabiliter les anciens quais et moderniser le Terminal existant. En clair, elle fait trois fois plus que l’autre à moindre coût et sur financement propre. Elle épargne à la Guinée, un endettement qui devait d’ailleurs être garanti par le FMI. Aussi, Albayrak va verser à l’Etat des redevances de concession de près de 350 millions de dollars US et payer tous les droits et taxes à l’Etat guinéen. C’est de l’exploit. C’est le contrat le mieux équilibré en matière de concession portuaire. C’est un modèle de partenariat gagnant-gagnant que nous sommes en train de vivre. L’accord prévoyait un investissement global de 500 millions USD sur une période de 25 ans dont quelques 200 millions USD sur les deux premières années.

Aujourd’hui quel est l’état d’exécution du contrat ?

Il faut comprendre que nous sommes à un an et quelques mois d’activités. Le contrat a été signé en Août 2018 mais n’est entré en vigueur effectivement qu’en juin 2019. Nous avons déjà dépassé les 100 millions de dollars d’investissements.
Je vais revenir sur les investissements réalisés. Il y a plusieurs investissements au titre de la modernisation du port, au titre de l’extension qui sont en cours et aussi au titre des équipements du port qui sont-là.
Le dernier exemple est l’acquisition d’une Drague qui est un succès en Afrique et qui est une première.


Sinon, c’est une opération réservée à deux grandes multinationales. Albayrak est la première société à se doter d’un navire spécialement pour draguer le port de Conakry.

La suite à lire bientôt 

Interview réalisée par Ougna Elie CAMARA (In Emergence Mag. N°14)