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Le Nigeria n’est plus le premier producteur africain de pétrole

Le vol généralisé de pétrole a fait perdre à la première économie d’Afrique sa place de leader dans la production de brut sur le continent, au profit de l’Angola.

Les faits : premier producteur de brut d’Afrique, le Nigeria perd chaque jour des centaines de milliers de barils volés au large ou siphonnés sur les pipelines pour être ensuite revendus au marché noir. Officiellement, la compagnie nationale de pétrole a révélé avoir perdu 470 000 barils de pétrole brut par jour, ce qui représente environ 700 millions de dollars par mois, affirmant que cela s’ajoute aux problèmes de sécurité qui entravent la production de pétrole dans certains terminaux. Résultat : la production totale de pétrole et de condensats du Nigeria a chuté à un creux annuel de 1,18 million de bpj en août, soit moins que son quota OPEC de 1,8 million de bpj.

Les données de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) ont également montré que la production n’était jamais tombée en dessous de 1,4 million de bpj, même au milieu de ce qui était considéré à l’époque comme des attaques militantes paralysantes dans le delta du Niger.

Très chers vols de pétrole

Renforcer la sécurité au large de son pays pour mettre un terme au vol généralisé de pétrole brut était  l’une des promesses majeures du président Buhari lors de sa réélection en février  2019. Aujourd’hui, ce déclassement du Nigeria au profit de l’Angola met en lumière le marasme économique qui perdure dans la première économie d’Afrique. « Nous ne permettrons pas à quelques criminels d’avoir un accès illimité à l’approvisionnement en pétrole brut de la nation », a affirmé le président Buhari. « J’ai donc ordonné à nos agences de sécurité de mettre rapidement un terme aux activités de ces vandales dans le delta du Niger », dans le sud-est, a-t-il assuré dans un communiqué. Le président Buhari a évoqué une coopération « renforcée et resserrée » avec les pays voisins, au large desquels les navires cherchent à se « cacher » après avoir volé du brut au Nigeria.

Selon plusieurs rapports officiels, la méthode de vol la plus répandue est celle qui consiste à surcharger les navires ou superpétroliers avec plus de brut que ce qui est déclaré. La seconde voie est de pénétrer dans les pipelines et de siphonner le pétrole, puis de le faire brûler dans des raffineries de brousse avant de le vendre. Ainsi donc une grande partie du brut volé va directement sur le marché international.

Pour le gouvernement, la baisse de production de brut est une menace supplémentaire pour les finances tendues de la nation la plus peuplée d’Afrique et réduit l’approvisionnement mondial en pétrole dans un contexte de flambée des coûts de l’énergie due à la guerre en Ukraine.

L’augmentation du prix ne suffit pas pour compenser la perte de production

Citant les exemples du Moyen-Orient ou de l’Asie centrale, le magazine britannique The Economist a estimé, dans un récent rapport, que les exportateurs de brut pourraient empocher jusqu’à 320 milliards de dollars de plus en revenus pétroliers cette année. Le Nigeria ne fait pas partie de la liste. « Le pays le plus peuplé d’Afrique, fort d’environ 220 millions d’habitants, a désespérément besoin de l’argent qu’un boom pétrolier pourrait apporter, car environ 40 % de sa population vit avec moins de l’équivalent de 1,90 dollar par jour », pointe The Economist dans cette  enquête consacrée au Nigeria. « Le gouvernement a du mal à rembourser ses dettes. Les services sociaux sont désastreux. L’économie lamentable a contribué à la violence qui afflige une grande partie du pays. Au cours du premier semestre de cette année, près de 6 000 personnes ont été tuées par des djihadistes, des ravisseurs, des bandits ou l’armée », poursuit le journal, qui souligne combien, au contraire de Lagos, l’Angola a su tirer profit de la flambée des prix du pétrole, faisant de sa monnaie l’une des plus performantes face au dollar.

C’est que le Nigeria n’est pas à une contradiction près, en plus de lutter contre le vol de pétrole, le vandalisme des oléoducs, ce géant économique aux pieds d’argile doit également faire face aux prix élevés de l’essence, que le pays subventionne. La vente de pétrole représente 90 % des recettes d’exportations du Nigeria. Mais pour le pays le plus peuplé d’Afrique, la hausse des prix du pétrole – la plus forte depuis 2014 – se matérialise dans les faits par des dépenses plus élevées. Car malgré tout le pétrole qu’il extrait, le Nigeria importe la majorité de son carburant car ses quatre raffineries ne fonctionnent pas ou bien en-deçà de leur capacité, s’exposant ainsi à des problèmes fréquents d’approvisionnement. D’ailleurs, la consommation d’essence a augmenté d’une manière plus importante, passant d’environ 58 millions de litres par jour en 2021 à environ 70 millions en 2022. En moyenne, les Nigerians payent l’essence environ 175 nairas, soit environ 0,42 dollar le litre, parmi les moins chères au monde.

Depuis les années 1970, l’État nigérian subventionne le carburant pour garder des prix à la pompe artificiellement bas. Un système qui siphonne chaque année des milliards de dollars des caisses publiques. Mais c’est là une des mesures les plus populaires auprès des Nigérians et aucun gouvernement n’a pris le risque politique d’y mettre fin.

Concrètement, la société d’État, la Nigerian National Petroleum Company Limited (NNPC Limited), couvre la subvention du carburant sur ses bénéfices et envoie ce qui reste au gouvernement.

La ministre des Finances avait évoqué l’année dernière la suppression des subventions des carburants d’ici à fin juin, comme le préconisent le FMI et la Banque mondiale. Mais en janvier, les ministres ont fait machine arrière pour acheter la paix sociale un an avant l’élection présidentielle. La Banque mondiale a prévu en juin que le gouvernement dépenserait 5,4 billions de nairas, soit 12,6 milliards de dollars en subventions aux carburants cette année, soit trois fois le montant de l’an dernier. Les gains ponctuels dans les caisses de l’État risquent donc de ne pas faire une grosse différence dans le déficit budgétaire.

Le Point Afrique