Le réseau social et le milliardaire avaient trouvé un accord le 25 avril. L’annonce d’Elon Musk a fait perdre à l’action du groupe environ 11 % dans les échanges électroniques précédant l’ouverture de Wall Street.
Le directeur général de Tesla et homme le plus riche du monde, Elon Musk, a déclaré, vendredi 13 mai au matin, « suspendre » le processus de rachat du réseau social Twitter. La raison invoquée pour cette nouvelle annonce surprise ? L’investisseur dit attendre davantage de détails sur la proportion de faux comptes sur le réseau social. L’action du groupe, cotée au New York Stock Exchange, a immédiatement plongé d’environ 11 % à l’ouverture de Wall Street, signe que les investisseurs s’interrogent et doutent même désormais que le projet de rachat aille à son terme.
Quelle est cette histoire de faux comptes ? Dans son message, M. Musk dit vouloir s’assurer « que les spams et les faux comptes représentent bien moins de 5 % du nombre d’utilisateurs », sur les 229 millions d’utilisateurs actifs revendiqués par Twitter. Ce chiffre a été rendu public, début mai, par Twitter, dans des documents déposés auprès du gendarme de la Bourse américaine, la Securities and Exchange Commission. Les comptes automatisés sont, historiquement, un problème endémique sur la plate-forme, où acteurs politiques, escrocs et mêmes services de propagande d’Etat ont recours à des comptes robots pour diffuser et amplifier leurs messages. M. Musk n’ignore pas cette problématique : dans son projet de rachat, il affirmait vouloir mettre fin aux spams – ces messages polluants souvent émis par de faux comptes automatisés.
Le taux de 5 % avancé par Twitter est relativement bas. Par le passé, de multiples études indépendantes évoquaient un niveau bien plus élevé ; l’entreprise a davantage investi dans la lutte contre ces comptes ces deux dernières années.
« Lorsque nous déterminons si un compte est faux ou authentique, notre jugement joue un rôle significatif, et nos estimations peuvent donc ne pas représenter le nombre réel de ces comptes », écrivait Twitter dans les documents boursiers. De plus, la société a plusieurs fois dû, en raison d’erreurs de calcul, revoir légèrement à la baisse ses chiffres d’utilisateurs actifs mensuels, une statistique-clé.
Ces éléments peuvent bien sûr avoir une influence sur l’activité de Twitter, qui dépend principalement de la publicité, et donc sur sa valorisation, mais la question des faux comptes est connue de longue date et existe sur tous les réseaux sociaux. La suspension surprise du rachat peut donc apparaître comme disproportionnée, ou comme un prétexte.
Des problèmes de financement liés à Tesla
L’annonce d’Elon Musk pose des questions liées au financement du rachat de Twitter et, plus largement, à Tesla. Le cours de Tesla a perdu 29 % de sa valeur depuis un mois, ce qui a des conséquences sur les quelque 250 milliards de dollars (239,5 millions d’euros) de fortune personnelle de l’homme le plus riche du monde, et donc, indirectement, sur le montage financier élaboré pour acquérir le réseau social.
En annonçant le 25 avril un rachat des actions Twitter à 54,20 dollars (environ 52 euros) – soit 54 % de bonus par rapport au cours de fin janvier –, le racheteur a valorisé l’entreprise à 43 milliards de dollars (42,1 milliards d’euros). Mais la fortune de M. Musk n’est pas faite de liquidités, mais d’actions. L’entrepreneur comptait, au départ, apporter le financement par plusieurs sources : 13 milliards d’emprunts à des banques, jusqu’à 21 milliards de vente d’actions Tesla et 12,5 milliards « d’un prêt sur marge », gagé sur des actions Tesla, que les prêteurs récupéreraient s’il ne remboursait pas.
Or, explique l’agence Bloomberg, M. Musk a, pour des prêts antérieurs, déjà gagé plus de la moitié de ses actions Tesla… Son nouvel emprunt sur marge de 12,5 milliards aurait été remis en cause si le cours de l’action du constructeur automobile passait sous les 837 dollars – il a atteint vendredi jusqu’à 762,18 dollars (730,2 euros). Elon Musk vient d’annoncer, jeudi, vouloir réduire le montant de cet emprunt, grâce à environ 7 milliards de financements d’investisseurs : le cofondateur d’Oracle, Larry Ellison, le fonds Sequoia Capital, le fonds Qatar Holding et le prince saoudien Al-Walid Ben Talal, qui apporterait sa part déjà détenue dans Twitter. Selon l’agence financière Bloomberg, Elon Musk chercherait même à supprimer le prêt sur gage en vendant davantage d’actions Tesla, pour plus de 27 milliards de dollars au total.
Still committed to acquisition
— Harry Bōlz (@elonmusk) May 13, 2022
Au-delà de ces jeux boursiers et financiers, la baisse du cours de Tesla révèle une tension fondamentale autour du rachat de Twitter, comme si les volontés d’Elon Musk de diriger les deux entreprises étaient contradictoires. « En tant que PDG d’une entreprise à 1 000 milliards de dollars, Elon Musk devrait ne pas se disperser et se concentrer sur Tesla et ne pas perdre du temps à acheter et gérer une entreprise à 43 milliards », estimait, mi-avril, David Trainer, PDG de la société d’investissement New Constructs. Or, M. Musk est déjà occupé par son rôle dans le constructeur spatial SpaceX, les Bourses sont en baisse, le monde connaît des crises sans précédent, la voiture électrique est en plein essor et Tesla est confronté à des défis, comme le récent rappel de 130 000 voitures en raison d’un problème de surchauffe… Le cours de Tesla bondissait de 7 %, vendredi, à l’annonce de la mise en pause du rachat de Twitter.
« Un film d’horreur »
Quelles sont les intentions réelles de l’imprévisible Elon Musk ? « Wall Street va maintenant estimer que la transaction est sur le point de tomber à l’eau, ou que M. Musk tente de négocier un prix d’achat plus bas, ou encore qu’il souhaite simplement se retirer de la transaction en payant l’indemnité de rupture de 1 milliard de dollars », résume Dan Ives, analyste de la société d’investissement Wedbush Securities, qui estime les chances du rachat à « moins de 50 % ». Pour M. Ives, le « cirque du rachat de Twitter va se transformer en film d’horreur digne de Vendredi 13 ».
« On va inévitablement se demander si les faux comptes sont la vraie raison de cette manœuvre dilatoire, abonde Susannah Streeter, analyste de la société d’investissement Hargreaves Lansdown, citée par Bloomberg. Quarante-trois milliards semble un prix gigantesque. Son annonce est peut-être une stratégie pour faire baisser ce montant. »
Une heure après son tweet fracassant, M. Musk assurait être « toujours investi » dans le rachat. Ces deux messages seront certainement analysés de près par a Securities and Exchange Commission, qui a déjà ouvert, selon les informations de la presse américaine, une enquête sur la manière dont M. Musk a discrètement acquis une vaste quantité d’actions Twitter dès fin janvier, sans les avoir déclarées, comme le prévoit la loi américaine. Le gendarme de la Bourse avait déjà sanctionné M. Musk pour avoir publié, toujours sur Twitter, des informations sur Tesla en dehors du cadre qui s’impose à une entreprise cotée en Bourse.
Le Monde et AFP